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longtemps comprimé et subitement détendu, revint bien vite de son affaissement. Le pays recouvra son orgueilleuse assurance, mais non son ancienne confiance dans le pouvoir. Le prestige de l’autocratie avait à Plevna reçu une atteinte irréparable.

Le rôle de l’empereur, durant toute cette longue et pénible campagne, était plus fait pour lui valoir l’estime et l’admiration de ceux qui l’approchaient que pour relever aux yeux de ses sujets son ascendant personnel. Alexandre II, on le sait, avait voulu rejoindre ses troupes au sud du Danube ; il avait tenu à être témoin de leurs exploits, à partager leurs fatigues et leurs dangers, mais soit modestie, soit crainte de la responsabilité, il avait décliné le commandement en chef pour le remettre à son fière le grand-duc Nicolas. C’est ainsi que, dans une petite maison de Gorni-Stouden, il passa de longues et anxieuses semaines, supportant les chaleurs d’un été du Balkan et les privations de la vie de camp, attendant le résultat d’opérations dans la direction desquelles il se fût fait scrupule d’intervenir, assistant en spectateur aux défaites de Plevna et en témoin attristé aux récriminations de ses généraux et aux discordes des princes de sa famille, ayant pour principale occupation de visiter les ambulances, de réconforter les blessés, d’encourager les médecins et les sœurs de charité, donnant à tous par sa présence l’exemple de la patience et de la résignation. Certes, c’était là une noble fonction, digne d’un grand cœur, et plus d’un pauvre soldat russe dut être touché de voir son empereur s’associer ainsi à ses souffrances ; mais cette abnégation même, ce rôle effacé et peu militaire de premier volontaire de la croix rouge avait aux yeux de l’opinion quelque chose de peu impérial ; on voyait là plutôt les vertus privées d’un particulier que ces qualités souveraines dont l’éclat rehausse le trône et fascine les peuples. On trouvait, en Russie, qu’Alexandre II devant Plevna ressemblait plutôt à Napoléon III à Metz ou à Sedan qu’à l’empereur Guillaume dans la guerre de France. On allait parfois jusqu’à insinuer que la présence de l’empereur était un embarras pour l’armée et une gêne pour le commandement. Comme s’il n’eût voulu partager que les tristesses de ses troupes ou comme s’il n’eût attendu qu’un succès pour reparaître en Russie, Alexandre II n’accompagna pas ses armées victorieuses au sud du Balkan ; ayant été à la peine, il ne chercha pas à être à l’honneur.

La victoire du reste devait apporter au souverain des tracas d’un autre genre et au pays des déceptions nouvelles. Dans la paix comme dans la guerre, le gouvernement devait se trouver incapable de répondre à l’attente de l’opinion. En vain les diplomates russes, affectant des airs superbes et enveloppant à dessein les négociations