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charge, mais on s’y prenait de bonne heure pour être sûr que, quelque événement qui pût survenir, le choix fût fait au 1er janvier et que la république ne fût jamais prise au dépourvu. L’assemblée électorale était présidée par l’un des consuls en exercice, ou, s’ils étaient absens tous deux et ne pouvaient pas venir, par un dictateur qu’on nommait tout exprès pour l’élection et qui devait abdiquer quand elle était faite.

On se réunissait au champ de Mars. — C’était une vaste plaine située hors de l’enceinte de Rome, le long du Tibre, en face du Janicule et des collines du Vatican. Elle est occupée aujourd’hui par les quartiers populeux de la ville moderne; les maisons s’y pressent, s’y entassent, à peine séparées par quelques rues étroites et tortueuses. Du temps de la république, l’espace était vide et servait aux divertissemens et aux exercices de la jeunesse romaine. Les curieux y venaient aussi pour voir les jeunes gens lutter entre eux, monter à cheval, courir, jouer à la balle, puis se jeter tout suans dans le Tibre. Avec le grand cirque, où se tenaient les baladins et les diseurs de bonne aventure, le forum, rendez-vous des oisifs et des nouvellistes, le champ de Mars était un des lieux qu’Horace fréquentait de préférence. On commençait déjà à y bâtir de beaux édifices; des colonnes, des autels, des temples, se détachaient. çà et là sur la verdure du gazon, et Pompée venait d’y construire son beau théâtre avec les portiques qui l’entouraient. L’empire allait accroître beaucoup cette magnificence, et remplir l’ancien champ des Tarquins de monumens admirables dont quelques-uns, comme le Panthéon d’Agrippa et le mausolée d’Auguste, existent encore. Quant à ceux qui servaient à tenir les comices consulaires, il n’en reste plus rien. Comme il était naturel qu’ils fussent le plus près possible de la ville, on pense qu’ils étaient situés le long de la voie Flaminienne, le Corso d’aujourd’hui, dans les environs de la place de Venise.

C’est là qu’au jour désigné le consul qui devait présider l’assemblée se rendait de très bonne heure, au lever du soleil, et aussitôt qu’il avait pris place sur son tribunal, les opérations électorales commençaient. Suivant l’usage, elle s’ouvraient par des sacrifices et des prières : toute la vie civile, tous les actes politiques des Romains étaient sous l’invocation des dieux. Puis le consul, s’adressant à son appariteur, avec de vieilles formules auxquelles on n’avait jamais rien changé depuis des siècles et que Varron nous a conservées, lui ordonnait d’appeler le peuple et de le faire ranger par tribus et par classes. On tirait ensuite au sort la centurie qui devait voter la première, et qu’on appelait centuria prœrogativa. Cette étrange coutume de faire voter une centurie toute seule et avant les autres tenait à une vieille superstition dont