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une âme naturellement généreuse avec de hautes aspirations qu’avaient développées les maîtres de son enfance[1]. En cela il n’était pas sans ressemblance avec son oncle Alexandre Ier ; mais, comme ce dernier, quoique par la fécondité de son règne il l’ait laissé bien loin derrière lui, il était dépourvu de certaines des facultés les plus essentielles à un réformateur ou à un grand souverain. C’était par-dessus tout un homme de bonne volonté, loyalement dévoué au bien de son pays; mais en politique ni le bon vouloir ni la loyauté ne suffisent; ce qu’il faut avant tout, c’est l’intelligence et le caractère, le coup d’œil qui, au milieu de la confusion des circonstances, découvre la voie à prendre, l’esprit de décision et de persévérance qui, le chemin une fois trouvé, le fait suivre à travers tous les obstacles jusqu’au but. Or, personne ne saurait le contester, Alexandre II était dénué de ces qualités souveraines, et, ne les ayant pas en lui-même, il n’a pu ou il n’a su les rencontrer autour de lui, dans un de ses sujets, dans un ministre dont il eût fait son Richelieu ou son Bismarck. Un tel homme eût existé près de lui, qu’Alexandre II eût été peu propre à le découvrir, et l’eût-il trouvé qu’il aurait été peu disposé à déléguer à l’un de ses sujets la meilleure part de son pouvoir. Ce n’était pas un de ces princes capables de s’identifier avec un grand ministre et au besoin d’en supporter le joug.

Comme Napoléon III, Alexandre II aimait peu les visages nouveaux et passait beaucoup de choses à ses amis. Il se laissait facilement aller à des préventions dont il était malaisé de le faire revenir; puis, comme bien des princes et comme, en dehors même des cours, bien des hommes d’état, il craignait d’être rejeté dans l’ombre, d’être dominé ou annihilé par un conseiller trop puissant; il se montrait défiant, sinon de la supériorité, du moins de toute influence exclusive. Sans les attentats de ces dernières années et le désarroi de son gouvernement en face des nihilistes, jamais il n’eût admis près de lui un ministre dirigeant et presque omnipotent, comme le comte Loris Mélikof. Il n’aimait pas laisser le pouvoir à des mains trop libres d’agir, il craignait de donner à ses serviteurs carte blanche et ne s’irritait pas de les voir inquiéter ou molester dans la mission que lui-même leur avait confiée. Quoique épris de tranquillité et désireux d’assurer son repos personnel, il ne détestait pas, surtout dans les premières années, les luttes d’influence et les compétitions d’amour-propre; il ne lui

  1. On a publié en 1880, à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de son avènement au trône, le plan d’études et pour ainsi dire les cahiers qui avaient servi à l’enseignement d’Alexandre II. On est étonné de la largeur des vues et même des tendances libérales qui avaient présidé à l’éducation de l’héritier de Nicolas.