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économiste américain défend le système protecteur sous prétexte que Dieu a fait de chaque nation « un peuple élu » dont il a fixé les limites et qui est appelé à se suffire. Il est puéril et outrecuidant de mettre ainsi ses idées personnelles sur le compte de la Divinité, et d’affirmer que telle chose doit être, parce qu’on s’imagine que Dieu l’a voulu ; mais nous croyons néanmoins que l’économie politique se rattache intimement à la philosophie et à la religion par la notion de l’objet même dont elle s’occupe. Son objet propre, en effet, est la richesse. Est richesse ce qui répond à un besoin rationnel. Mais quelle est l’essence et la limite des besoins rationnels? Évidemment la réponse que l’on fera à cette question dépendra de l’idée que l’on a de la destinée de l’homme, ce qui nous transporte dans le domaine de la philosophie et de la théologie. Il ne faut pas oublier que « le père de l’économie politique, » Adam Smith, ne voyait dans cette science qu’une partie de la philosophie morale, dont la théologie naturelle constituait la base. Ainsi que l’a fait très bien remarquer M. Leslie lui-même, Smith concluait au laissez-faire, parce que, dans sa Théorie des sentimens moraux comme dans sa Richesse des nations, il admet que l’action non contrariée de la Providence fait régner l’ordre général le plus favorable à l’état et aux particuliers. « Tout individu, dit-il, travaille nécessairement à rendre le revenu annuel de la société aussi grand que possible. En général, il est vrai, il n’a pas pour but l’intérêt public et il ignore qu’il y coopère. Il ne poursuit que son propre avantage, et en ceci comme en beaucoup d’autres cas, il est conduit, par une main invisible, à réaliser un bien qu’il ne soupçonnait pas. » Les prédécesseurs de Smith, dont on n’apprécie plus assez le mérite, les physiocrates, appuyaient également leur système sur une vue générale de l’ordre dans le monde, et par conséquent sur une conception philosophique, — théologique même, si l’on veut. La loi de la nature, de la physis, qu’ils invoquent sans cesse, n’était pas autre chose pour eux que la loi providentielle des théologiens. Je prends un exemple encore plus concluant, puisqu’il est emprunté à un philosophe matérialiste. Destutt de Tracy a écrit un petit traité d’économie politique, qui est un chef-d’œuvre d’exposition, de déduction et de clarté, et il en fait un des livres de son grand ouvrage l’Idéologie, et une application de son étude sur la volonté. Ceci indique une vue à la fois profonde et vraie. Elle prouve que Tracy considérait les phénomènes économiques comme le résultat des volontés humaines, déterminées par divers motifs, et non comme la conséquence des lois naturelles immuables. En tous cas, elle rattache intimement l’économie politique à la philosophie, ce qui est la vraie manière de la concevoir.

Je suis plus disposé que M. Leslie à admettre que les économistes