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nombre de districts où l’argent venu d’Amérique ne circulait pas, et où l’ouvrier agricole recevait gratuitement la jouissance d’une parcelle de terre comme rétribution. Il y a cent ans, un voyageur anglais trouve le prix de la viande à 0 fr. 15 la livre à Novgorod, dans cette ville célèbre par sa fameuse foire. Aujourd’hui encore, dans la plus grande partie de l’Europe orientale, les populations vivent de leurs propres produits, et le peu de métaux précieux qu’elles arrivent à posséder est converti en joyaux, ou caché et soustrait à la circulation. Il en est encore de même dans l’Inde, En résumé, conclut M. Leslie, quoiqu’il y ait eu au XVIe siècle une très forte baisse dans la puissance d’acquisition de la monnaie, cette dépréciation a été très inégale suivant les localités ou l’époque, et les chiffres exacts que l’on a donnés ne s’appliquent qu’aux centres de commerce où ils ont été notés. Il y a encore aujourd’hui des centaines de millions d’hommes qui ne vendent pas le produit de leur travail notablement plus cher qu’avant l’ouverture des mines nouvelles du Mexique, du Pérou, de la Californie ou de l’Australie.

Relativement aux calculs auxquels cette question donne lieu, M. Leslie fait deux remarques très ingénieuses et très justes. Quand on essaie de déterminer l’influence qu’exerce la production des métaux précieux sur les prix, tantôt on semble tenir compte de la somme totale et tantôt on se contente d’en déduire la valeur de ce que l’industrie convertit en articles d’usage, comme si cette valeur n’avait aucune action sur les prix. On commet ainsi une double erreur. Non-seulement l’or et l’argent employés à un autre usage que la monnaie ne peuvent déprécier l’instrument d’échange, puisqu’ils ne viennent pas s’y ajouter, mais, au contraire, ils en augmentent la valeur, car ils lui ouvrent un nouvel emploi, en ce sens qu’il sert à l’échange des nouveaux objets d’or et d’argent qu’on en fabrique. La monnaie ne peut pas faire deux choses à la fois : celle qui sert à acheter des montres, des bijoux, de l’argenterie, est enlevée, sur le marché monétaire, à la circulation des autres objets. Ainsi, non-seulement toute l’augmentation de la quantité des métaux précieux due aux nouvelles mines n’a pas contribué à augmenter les prix, mais une portion considérable de ce surplus a agi dans un sens entièrement opposé, car, transformée en objets précieux, elle a réclamé un supplément de monnaie pour en opérer l’échange.

L’autre remarque n’est pas moins importante : la voici. Une même quantité de monnaie ajoutée à la circulation amène une moindre hausse des prix là où ceux-ci sont déjà élevés, que là où ils sont bas. Supposons que les salaires soient par jour en Angleterre de 18 pence et aux Indes de 1 penny, et que l’abondance du numéraire produise dans les deux pays une hausse identique de