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je crois, à la battre en brèche dans un article vigoureux publié en 1868. Le livre de Thornton, on Labour, à qui on attribue souvent le mérite de l’avoir d’abord réfutée, ne parut qu’en 1869. Depuis lors, M. François Longe, Cairnes et le professeur américain Walker l’ont aussi très vivement combattue.

Le premier point à examiner est celui-ci : Y a-t-il réellement, à un moment donné, un fonds spécialement destiné au paiement des salaires, qui ne puisse être augmenté d’aucune façon? Ce fonds général devrait être composé de la partie du revenu que toute personne qui emploie des ouvriers destine à les rétribuer. Or cette somme est-elle absolument déterminée? Sans doute, le revenu dont je dispose l’est; mais sur ce revenu, si le salaire est élevé, je devrai prélever plus que s’il est bon marché, et, dans ce cas, il me restera moins pour mes autres dépenses. Prenons un exemple. Un propriétaire, pour exploiter sa terre, doit employer dans l’année deux mille journées d’ouvrier. S’il les paie 2 francs au lieu de 1 franc, il en résultera que son bénéfice à lui sera diminué de 1,000 francs. La part du travail sera accrue et celle de la rente diminuée. Les autres industries auront la même quantité de commandes à satisfaire ; seulement la consommation des salariés prendra ce que réclamait auparavant la consommation du propriétaire. Examinons la question de plus près encore. Un seigneur tire de son domaine un produit brut équivalent à 20,000 francs. Le salaire de ses ouvriers agricoles prélève 10,000 francs : reste net 10,000 francs pour lui. Le seigneur consacre 5,000 francs et les ouvriers 3,000 francs, total: 8,000 francs, à entretenir les artisans qui font les vêtemens, les meubles, les objets manufacturés de toute sorte qu’ils consomment. Le salaire s’élève. Les ouvriers exigent 13,000 francs sur le produit brut; il ne reste alors comme produit net au propriétaire que 7,000 francs. Les artisans recevront encore leurs 8,000 francs pour les objets qu’ils fabriquent; mais comme maintenant les ouvriers leur en verseront 5,000 et le seigneur 3,000 seulement, ils travailleront davantage pour les premiers, moins pour le second. La répartition sera faite sur d’autres bases. Ceci n’est pas un exemple purement théorique. Après 1871, l’essor extraordinaire de l’industrie eut pour conséquence une hausse très forte des salaires industriels. A leur tour, les ouvriers agricoles en profitèrent pour augmenter leurs exigences. Il s’ensuivit une diminution dans les profits des fermiers, laquelle se traduisit bientôt par une baisse de fermages. La hausse des salaires avait été prélevée sur la rente de la terre. Le produit brut s’était réparti d’une façon plus avantageuse pour le travail, moins avantageuse pour le sol.

Ce qui est déterminé à un moment donné, c’est la masse de choses utiles produites par une nation, mais la façon dont elles