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II.

Il est une autre question où M. Leslie a appliqué son système de critique avec un plein succès, c’est celle du Wages Fund, c’est-à-dire du fonds des salaires. C’est un point très vivement discuté. parmi les savans spéciaux, et qui est aussi de la plus grande importance pour la pratique. Voici comment se pose le problème; je reproduis les termes dont se sert Mac Culloch, dans le chapitre premier de son Traité sur les circonstances qui déterminent le taux des salaires. — « Le salaire dépend, à un moment donné, de la quantité du fonds ou du capital approprié au paiement des salaires, comparée au nombre total des ouvriers. Supposons que le capital approprié au paiement des salaires dans un pays s’élève à 30,000,000 de livres sterling. S’il se trouvait dans ce pays deux millions d’ouvriers, il est évident que le salaire de chacun d’eux, les supposant tous rétribués sur le même pied, serait de 15 livres sterling, et il est clair également que le taux de ce salaire ne pourrait être augmenté qu’en réduisant le nombre des ouvriers dans une proportion plus grande que la masse du capital ou en augmentant le capital plus que le nombre des ouvriers. Toute tentative faite pour amener une hausse des salaires, qui n’est pas fondée sur ce principe ou qui n’a pas pour but ultérieur d’accroître le capital relativement à la population, doit nécessairement aboutir à un échec. » Si la théorie exposée par Mac Culloch était exacte, il en résulterait que le taux moyen du salaire serait, à un moment donné, déterminé d’une façon absolue : ni coalitions, ni grèves, ni bon vouloir des maîtres ne pourraient l’augmenter.

Le second point de la doctrine orthodoxe, c’est la tendance à l’égalité des salaires. Supposez tous les emplois également faciles et sains : avec la liberté industrielle, une différence quelque peu notable dans les salaires ne pourrait se maintenir. Si un emploi est momentanément mieux rétribué, les travailleurs le rechercheront en plus grand nombre, et ainsi l’excès de l’offre fera baisser la rémunération. Les différences permanentes qui existent dans les salaires ne s’expliquent que par les circonstances qui rendent un métier plus ou moins difficile ou plus ou moins agréable.

Ces propositions que nous venons d’exposer ne sont qu’une application de la loi de l’offre et de la demande ou de la concurrence qui, en supposant qu’elle agisse sans obstacles, doit finir par niveler les prix. On y trouve un exemple de ces déductions à allures mathématiques, dont les économistes orthodoxes ont beaucoup abusé. Cette théorie du Wages Fund était généralement admise, et on la trouve même dans les Principles de Stuart Mill. M. Leslie fut le premier,