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ne peut arriver à approfondir une question qu’en tenant compte de deux séries historiques de faits : premièrement de la succession des états économiques des sociétés humaines et de leurs causes, d’où ressortent les lois qui ont présidé à la constitution actuelle de l’ordre social; secondement du développement et du progrès des théories philosophiques qui s’efforcent d’expliquer les phénomènes économiques. Il pense que ces deux genres d’investigations sont indispensables et qu’ils ont les rapports les plus intimes, car, d’après lui, ce qui a principalement déterminé l’objet et la direction de la pensée économique à chaque période, c’est l’état de la société en ce moment, de même que la théorie économique, à son tour, a exercé une grande influence sur la marche des faits économiques. C’est ainsi que, dans une étude récente sur les économistes américains (Fortnightly Review, octobre 1880), il prouve que les caractères tout spéciaux du développement de la richesse aux États-Unis y ont fait naître des doctrines très différentes de celles qui sont généralement admises en Angleterre. Si le système protecteur y trouve tant d’adhérens, c’est parce que les ressources immenses d’un pays vierge, mises en valeur par une race entreprenante, énergique et utilisant aussitôt toutes les découvertes scientifiques, produisent d’incalculables richesses de toute nature. Si Carey a nié la théorie de la rente de Ricardo, d’après laquelle on commencerait toujours par cultiver les terres les plus productives, c’est parce qu’il avait sous les yeux la marche du développement agricole aux États-Unis, qui, en effet, a passé des terres légères et sablonneuses aux terres les plus fortes et les plus fertiles.

M. Leslie n’a jamais été la dupe des flatteuses illusions de l’optimisme. La méthode historique l’en a préservé. Elle lui a dicté des prévisions vraiment prophétiques. Il y a vingt ans, alors que la facilité croissante des communications, les échanges internationaux augmentant sans cesse, et les relations des états devenant chaque jour plus intimes, faisaient espérer qu’on ne verrait plus les peuples se ruer les uns sur les autres comme des bêtes fauves, il se demanda : Quel est l’avenir de l’Europe, est-ce la paix? et, l’histoire à la main, il répondit : Non, et il prédit les grandes luttes auxquelles nous avons assisté depuis. Les économistes se laissent volontiers aller à refaire le rêve du bon abbé de Saint-Pierre, et ils sont très disposés à croire à la paix perpétuelle. Quoi de plus naturel ? n’ont-ils pas démontré que la guerre est aujourd’hui une chose insensée, attendu que les plus éclatantes victoires et les conquêtes les plus brillantes n’apportent, en réalité, aucun avantage aux vainqueurs? M. Eugène Pelletan a écrit autrefois quelques pages intitulées : Qui perd gagne. Il y prouve que, dans les guerres