Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 44.djvu/63

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais ils ne s’étaient pas avisés d’inventer les circulaires et les réunions électorales. Je crois que les circulaires n’auraient pas été du goût de Quintus. A moins qu’on n’écrive pour ne rien dire, on s’engage toujours un peu en écrivant. Quelque réserve qu’on mette dans un manifeste, il faut bien qu’on y expose quelques opinions, qu’on y affiche des principes, qu’on se décide pour un parti; or Quintus exige qu’on n’en adopte aucun et qu’on donne à tous des espérances. « Faites en sorte, dit-il à son fière, que le sénat, le peuple, les chevaliers aient tous des raisons de vous regarder comme un défenseur de leurs privilèges. » C’est ce qui ne lui arrivera que s’il a soin de s’adresser à chacun d’eux isolément, sans être entendu des autres, s’il leur distribue de ces bonnes paroles qui n’affirment rien et promettent tout, s’il se garde de rien écrire qui puisse les détromper. Quant aux réunions électorales, elles étaient remplacées avec avantage par les assemblées mêmes du forum. Il est de règle à Rome qu’un candidat, s’il se sait écouté favorablement du peuple, ne manque pas une occasion de lui recommander ses intérêts. Il peut le faire naturellement soit à propos des causes qu’il plaide, soit en intervenant dans la discussion des lois. Si par hasard l’occasion qu’il cherche ne se présente pas, il lui est facile de la faire naître ; il n’a qu’à prier un tribun de ses amis, qui lui veut du bien, de convoquer le peuple et de lui donner la parole. Une fois à la tribune, il parle de lui et des autres avec cette audacieuse liberté qui est le caractère de l’éloquence antique. Un galant homme aujourd’hui n’aime guère à se vanter lui-même, et il garde volontiers le silence sur ses rivaux. Les candidats d’autrefois ne connaissaient pas ces délicatesses; ils se décernaient sans rougir toute sorte d’éloges et n’avaient aucun scrupule à accabler d’outrages leurs adversaires. Nous avons conservé quelques fragmens d’un discours prononcé par Cicéron pendant sa candidature (In toga candida) ; rien n’est plus curieux que de voir comment il parle des deux personnages qu’on lui opposait, et dont l’un devait devenir son collègue. Antoine est un fripon et Catilina un assassin : « Il a porté de ses mains, depuis le Janicule jusqu’au temple d’Apollon, et jeté aux pieds de Sylla, la tête sanglante d’un proscrit qu’il venait de tuer. » Sa vie privée est aussi infâme que sa conduite publique : « Il a spéculé, pour s’enrichir, sur les désordres de sa femme, et il a fini par épouser sa propre fille. » — Quand Cicéron, un homme de bonne compagnie, un modéré, osait s’exprimer ainsi, qu’on juge de ce que devaient dire les autres!

Une autre façon d’agir sur le peuple et d’enlever son suffrage, c’est de l’éblouir par le nombre de ses partisans, par l’éclat de son