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que celle de le désavouer et de le livrer aux Romains, pour n’être pas elles-mêmes compromise.

Ainsi se trouve résolue une difficulté qui de tout temps a embarrassé ceux qui lisaient les Évangiles. On se demandait comment il pouvait se faire que le synédrion, après avoir condamné Jésus comme blasphémateur d’après la loi, n’eût pas prononcé contre lui la peine que la loi prononce, c’est-à-dire la lapidation. (Lévit., XXIV, 16.) Il n’y a plus de difficulté si Jésus a été frappé par l’autorité romaine, non comme transgresseur de la loi juive, mais comme un homme qui troublait l’ordre établi, et si les autorités juives n’ont fait que le livrer à la justice du procurateur.

Il est à remarquer que le récit du quatrième évangile diffère très sensiblement des trois autres en ce qui regarde la procédure contre Jésus. Dans cet évangile, le synédrion ne s’assemble pas et ne prononce pas de sentence. Jésus arrêté est conduit devant Anna (ou Hanau), un des grande-prêtres, beau-père du véritable grand-prêtre Caïphe, qui lui fait subir un simple interrogatoire (XVIII, 19), puis l’envoie devant Caïphe. De là, sans qu’il soit dit que Caïphe se soit occupé de lui le moins du monde, ceux qui l’ont arrêté le conduisent devant Pilatus, de sorte que le synédrion n’est pas en scène un seul instant.

En citant le quatrième évangile, je ne prétends pas qu’il soit par lui-même un meilleur témoin que les trois premiers ; bien au contraire : c’est un livre beaucoup plus récent que les autres et qui n’a pas d’autorité historique. Mais l’auteur, moins naïf apparemment que les anciens évangélistes, a présenté les choses d’une manière plus raisonnable, sinon plus exacte, et peut-être aussi avait-il sous les yeux des récits d’autre origine que les nôtres et plus approchans de la vérité. La valeur du récit de Jean est pour moi principalement négative : elle nous met à l’aise pour ne pas accepter ceux des autres évangélistes, et ne pas tenir pour avéré, sur leur parole, que Jésus ait été jugé et condamné par le synédrion assemblé.

Le quatrième évangile n’en représente pas moins les Juifs comme acharnés contre Jésus, et arrachant, pour ainsi dire, sa mort à Pilate. J’ai dit comment les chrétiens avaient été amenés à se figurer ainsi les choses. Mais un autre passage du même évangile est en contradiction avec ces idées et conforme, je crois, à la vérité : « Si nous laissons faire ainsi cet homme, tous croiront en lui, et les Romains viendront et détruiront le lieu sacré et la nation… Et Caïphe dit : Il nous est bon qu’un homme meure à la place du peuple, et que la nation entière ne périsse pas. » (XI, 48-50.)

Je ne crois pas, bien entendu, que Caïphe ait prophétisé en effet la destruction de la ville sainte, et lu si clairement dans l’avenir ; mais je crois volontiers que les grands-prêtres ne se sont déclarés