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sur la foi des récits évangéliques, les propositions suivantes :

Que Jésus prétendait être le Christ et qu’il s’est donné pour tel;

Qu’il a été supplicié à la suite d’une condamnation solennelle prononcée par le synédrion assemble et dont le procurateur Pilatus s’est fait l’exécuteur:

Jésus, si on en croit les évangiles, a prêché que Dieu réprouvait désormais les Juifs et le judaïsme, que son peuple n’était plus son peuple et que l’héritage d’Israël était transporté aux Gentils. Jésus avait soulevé surtout contre lui les pharisiens, qu’il décriait dans l’esprit des peuples.

Eh bien ! il n’y a pas une de ces propositions, si on les soumet à un examen attentif, qui ne doive être tenue, sinon pour fausse, au moins pour douteuse. C’est ce qu’on va voir en les étudiant successivement.


III.

Je commence par indiquer, dans le plus ancien évangile, les passages qui sont dans le sens de la tradition reçue. Il y en a où Jésus se laisse donner le nom de Christ[1]; d’autres où il se désigne ainsi lui-même[2]. Enfin on nous raconte que, traduit devant le conseil des Juifs, il déclare hautement et solennellement, en face du grand prêtre, qu’il est le Christ. Rien n’est plus formel que ces témoignages, mais sont-ils croyables?

On voit tout d’abord qu’ils n’ont pas pour eux la vraisemblance : comme tout le monde entendait alors par un Christ un chef libérateur et restaurateur d’Israël, il semble bien qu’en dehors d’une insurrection, personne ne pouvait oser prendre un tel titre. Mais le texte même de l’évangile nous fournit assez de raisons de croire qu’il ne l’a pas pris en effet. Quand il demande aux siens : « Et vous, que dites-vous de moi? » et que Pierre lui répond : « C’est toi qui es le Christ; » l’évangile ajoute aussitôt : « Et il leur défendit sévèrement de s’expliquer là-dessus avec personne. » Il fait la même défense aux démons, c’est-à-dire aux malades, par la bouche de qui les démons étaient censés parler[3]. Ces défenses sont inconciliables avec les versets dans lesquels Jésus parle en Christ, ou tout au moins avec ceux où il parle ainsi publiquement, comme

  1. Marc, VIII, 29, ou des appellations équivalentes : III, 11, — V, 7, — X, 47-48.
  2. Comme III, 10 et 28, — VIII, 31 et 38, — IX, 8, 11, 30 et 40, — X, 33, — XIV, 21 et 41.
  3. Voir III, 12 et I, 34. Voir aussi I, 43 et VII, 36.