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est par trop invraisemblable, ou même purement absurde, comme le miracle des deux mille cochons (V, 2-20). Il n’y a pas eu de surnaturel dans la vie de Jésus; il a pu y avoir quelquefois l’illusion du surnaturel.

Pour ce qui est des circonstances merveilleuses dont on a entouré la naissance même de Jésus, qu’il a été conçu de l’Esprit saint, que sa mère l’a enfanté étant vierge, qu’une étoile a conduit vers lui les mages, etc., nous n’avons à en tenir aucun compte. On ne lit d’ailleurs absolument rien de tout cela dans le plus ancien évangile; ces imaginations sont venues plus tard.

De même que Jésus n’a pas fait de miracles, il n’a pas fait de prophéties; car une prophétie est un miracle. Il n’a pu prédire la prise de Jérusalem ni la destruction du temple. Il n’a pas davantage prédit sa mort (j’entends parler d’une prédiction précise et circonstanciée) et encore moins sa résurrection. Les récits à ce sujet n’ont aucune valeur historique, non plus que celui de la résurrection elle-même.

Il y a d’autres prédictions dans les Évangiles, qui, à mon avis, si on les attribue à Jésus, ne seront pas moins merveilleuses que celles-là, mais qui ne le paraîtront pas autant à tout le monde, Ainsi Jésus annonce que ses disciples souffriront des persécutions (X, 30); qu’on les livrera aux chambres de justice et qu’on les fouettera dans les synagogues (XIII, 9), et qu’ils auront à comparaître devant les gouverneurs et les rois à cause de lui; il annonce aussi que la bonne nouvelle sera prêchée à toutes les nations (XIII, 10). Je crois que Jésus n’a pu prédire ni prévoir tout cela; car il résulte également du silence des Évangiles et du récit du livre des Actes, que de son vivant ses disciples n’étaient qu’une poignée d’hommes qui ne comptaient pas et dont personne ne s’occupait, et de telles prévisions me paraîtraient tout à fait surnaturelles; mais, je le répète, tout le monde n’en jugerait peut-être pas ainsi. J’écarte donc pour le moment cet ordre de considérations, auquel je reviendrai plus tard.

Après avoir effacé des récits évangéliques le surnaturel, on pourrait croire que rien n’empêche d’accepter le reste; mais en y regardant de plus près, on s’aperçoit qu’on ne peut s’en rapporter à leur témoignage, même sur les faits qui n’ont rien de merveilleux. Je ne connais qu’un seul de ces faits qui soit absolument incontestable, c’est que Jésus a été mis en croix par l’ordre du procurateur Pontius Pilatus; mais, à l’exception de ce fait unique, je ne crois pas qu’on ait produit au sujet de Jésus une allégation qui ne soit sujette à des doutes très graves, même parmi celles qui portent sur les points les plus importans. Ainsi on admet universellement,