Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 44.djvu/593

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la vanité de cette étude et de la profonde ignorance où l’on aboutit. Mais il faut entrer plus avant dans le sujet et examiner quelle foi nous pouvons ajouter aux témoignages que les évangiles nous apportent sur la vie et sur la personne de Jésus.

La critique a reconnu que le plus ancien des quatre Évangiles est celui qui vient le second dans nos recueils, sous le nom de Marc, et qui est le plus court et le plus simple. C’est donc à celui-là que nous devrons nous adresser de préférence pour chercher la vérité sur Jésus ; mais celui-là même nous fournit bien peu de chose.

II.

Et d’abord la première obligation que nous fait le principe rationaliste qui est le fondement de toute critique est d’écarter de la vie de Jésus le surnaturel. Cela emporte d’un seul coup, dans les Évangiles, ce que nous appelons les miracles[1].

Des paralytiques et des lépreux instantanément guéris; des sourds, des muets, des aveugles-nés, qui recouvrent tout à coup l’ouïe, la parole ou la vue par un attouchement ou par un mot de Jésus, il est clair qu’il n’y a là aucune réalité. Non-seulement Jésus n’a jamais rien fait de pareil, mais j’ajoute hardiment qu’on n’a pas pu dire, qu’on n’a pas pu croire cela de son vivant. Ce n’est qu’à distance et longtemps après qu’on a imaginé de pareilles choses.

Quand la critique refuse de croire à des récits de miracles, elle n’a pas besoin d’apporter des preuves à l’appui de sa négation : ce qu’on raconte est faux, simplement parce que ce qu’on raconte n’a pas pu être. Mais il reste à la critique une obligation, celle de rechercher comment on en est venu à croire ces miracles. C’est ce qui n’est pas très difficile à dire dans le cas présent : on a cru que Jésus avait fait des miracles parce qu’on a cru que Jésus était le Christ, et qu’on croyait que le Christ devait faire des miracles.

Il est dit, en effet, dans Isaïe, XXXV, 5, qu’au temps marqué par Iéhova pour le salut de son peuple « les yeux des aveugles s’ouvriront et les oreilles des sourds se déboucheront ; le boiteux bondira comme un cerf, et la langue du muet chantera. » Et ailleurs, XXVI, 19, s’adressant à Iéhova lui-même, le prophète s’écrie : « Les morts vivront, les cadavres se relèveront. » Ce ne sont là dans le poète que des figures, qui expriment vivement le grand réveil

  1. Le mot miracula (en grec θαύματα) n’est pas dans le Nouveau-Testament. Les trois premiers évangélistes disent « des vertus » (δυνάμεις) ; le quatrième dit « des signes » (σημεῖα). On trouve aussi deux fois le mot τέρατα, prodigia. (Matth., XXIV, 24 et Jean, IV, 48.) Paul n’emploie non plus que ces trois mots.