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retrouve dans les traditions de presque tous les anciens peuples. Les combats d’Indra contre les Asouras, chantés dans les hymnes védiques, offrent nombre de traits communs avec les luttes célébrées par Hésiode dans la Théogonie. Il est difficile de ne pas reconnaître dans les uns et dans les autres une image de la lutte existant entre les forces naturelles du ciel et celles de la terre. Les dieux et les géans sont précisément une personnification de ces forces opposées. Évident dans les Védas, ce caractère n’est guère moins marqué chez le poète grec. « Un horrible fracas retentit sur la mer sans limites, dit le vieil Hésiode; la terre pousse un long mugissement, le ciel s’agite et gémit, l’Olympe, sous le choc des immortels, tremble jusque dans ses fondemens, et les ténébreuses profondeurs du Tartare sont ébranlées. Alors Jupiter ne retient plus sa fureur; son âme s’emplit de colère, et il déploie toute sa puissance. Impétueux, il s’élance des hauteurs de l’Olympe, faisant jaillir des feux étincelans; il brandit la foudre dans sa main, au milieu des tonnerres et des éclairs. La terre nourricière mugit embrasée, les forêts pétillent enveloppées par l’incendie. Une vapeur brûlante entoure les Titans, fils de la terre. » — Jupiter étant sorti victorieux de cette lutte, on pensait l’honorer en perpétuant le souvenir de son triomphe. De là est venue la pensée de représenter la Gigantomachie autour de son sanctuaire. C’est un véritable hymne en l’honneur du dieu, un hymne de marbre, que les artistes de Pergame ont sculpté sur la large frise qui entoure son autel. Autant par suite des nécessités de la statuaire qu’en raison du changement qui s’était peu à peu opéré dans l’idée que les Grecs se faisaient des immortels, les dieux et les géans ont pris une singulière ressemblance avec les hommes. Pour les dieux, l’analogie est complète : c’est par les attributs seulement que se révèle çà et là leur caractère propre. Quant aux géans, beaucoup ont gardé dans les bas-reliefs de Pergame la marque distinctive de leur qualité de fils de la terre : ils tiennent à la fois de l’homme et du serpent, qui passait dans l’antiquité pour être né de la terre elle-même. Leurs jambes, couvertes d’écaillés, se prolongent en longs replis et se terminent par une tête de python. Ainsi, déjà dans les Védas, les géans, à qui l’on attribuait les mêmes tentatives impies contre les dieux du ciel, étaient représentés sous la même forme. « O Indra, est-il dit dans le Rig, tu as précipité dans l’abîme les Dasyous qui en serpentant escaladaient le ciel sous une apparence magique. Tu as donné la mort à cette troupe impie et audacieuse. »

Si grand que soit le nombre des plaques de marbre que l’on a découvertes, il n’a pas été possible, jusqu’à présent du moins, de rétablir l’ensemble de la Gigantomachie. On a pu cependant