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il était le plus digne, et ne le lui donna à la fin que comme un prix de sa persévérance. Notre candidat sera un honnête homme, mais d’une honnêteté qui n’ait rien de farouche. Tout en refusant de dire ce qu’il ne pense pas, il ne se croira pas obligé de dire tout ce qu’il pense; il poussera les concessions et les ménagemens très loin ; il aura une de ces consciences larges et tolérantes qui ne se révoltent pas trop vite. Je suppose de plus qu’il est de sa nature bienveillant, affable pour tout le monde, d’humeur gaie et vive, comme était Cicéron, capable de supporter au besoin les ennuyeux, ce qui est une grande et rare vertu, et de faire bonne figure même aux gens qu’il n’aime guère. C’est en un mot un candidat modèle et qui possède toutes les qualités par lesquelles on plaît au peuple. Voyons les moyens qu’il emploiera pour réussir.

Quintus veut d’abord qu’il se rende un compte exact de ses forces. En général habile, au moment de commencer la campagne, il faut qu’il passe ses troupes en revue. De qui se composeront-elles? quels sont les gens dont l’appui va le soutenir? Un grand seigneur de naissance possède beaucoup de cliens et de protégés, qui sont attachés depuis des siècles à sa famille et viennent voter pour lui presque sans le connaître, sur le nom seul qu’il porte. Un « homme nouveau » n’a que les amis qu’il s’est faits lui-même. Quintus les divise en trois catégories : 1° ceux auxquels on a rendu quelque service; 2° ceux qui comptent sur un service qu’on pourra leur rendre; 3° ceux enfin qui vous servent par une sorte d’affection désintéressée. Ces derniers sont les amis les plus précieux et les plus méritans, mais ils sont aussi les plus rares : il ne faut pas compter qu’il s’en présentera beaucoup. Restent les deux autres catégories, c’est-à-dire les gens qu’on a aidés et ceux qui ont besoin qu’on les aide : c’est parmi eux qu’un candidat doit chercher ses plus fermes soutiens.

Cicéron, qui était le plus obligeant des hommes, avait eu l’occasion de se faire beaucoup d’amis; il les devait surtout à son talent d’orateur. A Rome, où des lois sévères défendaient de payer les avocats, la seule façon de témoigner sa reconnaissance à celui qui vous avait sauvé la fortune, la réputation, ou la vie, était de voter ou de faire voter pour lui, quand il briguait quelque fonction publique. De là, pour l’avocat qui voulait être un jour consul, la nécessité de défendre tous les gens de quelque importance qui s’adressaient à lui. Malheureusement les plus puissans ne sont pas toujours les plus justes , et Cicéron , pour se ménager des appuis dont il avait grand besoin, fut souvent obligé de défendre de très mauvaises causes. Le moyen de refuser un tribun séditieux comme Cornélius, un assassin comme Varenus, ou des pillards de province comme Fonteius et tant d’autres, s’ils avaient quelque