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fait halte de loin en loin auprès de ces postes de gendarmes, servant en même temps d’auberge, qu’on nomme des cafés. C’est d’ordinaire une chétive masure, placée près d’une source dont la fraîcheur donne une vigueur admirable à la végétation voisine. De grands platanes forment un ombrage épais, où le voyageur se repose en buvant du café bourbeux, servi par un gendarme armé jusqu’aux dents. Peu d’Européens ont fréquenté cette route, et il est peu probable que la vallée du Caïque en attire beaucoup plus à l’avenir, car c’est à Berlin qu’il faudra se rendre pour étudier les antiquités de Pergame.

A mesure que l’on s’avance, on voit se détacher des montagnes qui ferment l’horizon un mamelon surmonté de constructions de tous les âges : c’est l’acropole de la ville ancienne. La moderne Bergama est assise sur le versant méridional, séparée du fleuve par un léger épaulement de terrain qui la dissimule aux regards jusqu’au moment où l’on est sur le point de l’atteindre. Le pays est frais et riant, planté d’arbres à fruit et de vignes : çà et là les cyprès dressent leurs pyramides d’un vert sombre au-dessus du pâle feuillage des oliviers. Quelques grands tumulus attirent l’attention : deux d’entre eux, voisins de la ville, étaient célèbres dans l’antiquité. Pausanias les mentionne, et ils se rapportent aux plus anciennes traditions du pays. Le plus grand était regardé comme le tombeau d’Augé, fille d’un roi mythique du Péloponèse et honorée de l’amour d’Hercule. Il en était résulté Télèphe, qui devint gendre de Priam et roi de Mysie. Son rôle étrange devant la guerre de Troie, où il figure successivement chez les assiégés et parmi les assiégeans, n’avait pas terni sa mémoire. Il devint au contraire si populaire que nous verrons ses aventures former le sujet d’une série de bas-reliefs, qui ornaient la partie supérieure de l’autel de Jupiter dont la Gigantomachie décorait le soubassement. L’autre tumulus rappelle une des plus touchantes héroïnes grecques dont la tragédie classique ait illustré le nom : il passait pour être le tombeau d’Andromaque. Mais la légende grecque n’est pas d’accord avec Racine : d’après elle, Pyrrhus, loin « qu’il rende à l’autel son infidèle vie, » épouse la veuve d’Hector et la rend mère de plusieurs enfans. On racontait que l’un d’eux, Pergamos, était venu en Asie-Mineure, s’était emparé de la Teuthranie, où régnaient les descendans de Télèphe, et avait fondé la ville qui porte encore son nom. Sa mère l’avait accompagné et était morte sur les bords du Caïque.

C’est une chose digne de remarque que, jusqu’à ces derniers temps, Pergame avait conservé fort peu de souvenirs apparens de la période hellénique de son histoire : on n’y connaissait guère de monumens intermédiaires entre les tertres préhistoriques d’Augé