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beauté. Était-ce le Mercure cherché? La splendeur du morceau permettait de le croire ; pourtant les bras manquaient, et nul attribut ne permettait de se prononcer avec certitude, quand on remarqua sur l’épaule gauche du dieu la trace de cinq petits doigts d’enfant. Cela valait une signature. On se trouvait en présence d’une œuvre authentique de l’un des plus grands artistes de la Grèce.

Les fouilles de Mycènes et d’Olympie ont jeté un nouveau jour sur les origines de la civilisation grecque et sur la période la plus brillante de cette même civilisation. Nous voudrions parler aujourd’hui d’autres découvertes qui, pour se rapporter à une époque moins reculée, ne présentent pas un intérêt moins vif. Les monumens de Pergame datent seulement du IIe siècle avant notre ère ; ils appartiennent donc à l’âge de transition entre l’art grec et l’art romain, ordinairement qualifié d’âge de décadence. Il est vrai que ce mot est de ceux dont on abuse un peu, de notre temps surtout, où le goût des œuvres primitives domine souvent jusqu’à faire illusion sur leur valeur réelle. Ceux qui préfèrent Cimabuë à Raphaël, et aux frises du Parthénon les statues du temple d’Égine, auront peut-être quelque peine à croire à la beauté d’une œuvre presque contemporaine de la conquête de la Grèce par les Romains. Mais ils changeront d’avis, croyons-nous, une fois en présence des admirables sculptures qui entouraient le soubassement de l’autel de Jupiter sur l’acropole de Pergame.

J’étais de passage à Berlin quand on commença à exposer au musée une série de ces bas-reliefs déjà célèbres avant d’être connus et impatiemment attendus par les artistes de l’Allemagne. Un envoi considérable venait d’arriver, comprenant quelques-uns des plus beaux morceaux d’une Gigantomachie qui se développait sur une frise haute de 2m, 30, longue de 100 mètres environ. Les caisses, à peines ouvertes, avaient été étalées dans une vaste galerie, à travers les gaines surmontées de médiocres statues romaines mal restaurées qui forment l’ancien fonds des antiques de Prusse. Je ne saurais dire le saisissement que je ressentis en contemplant ce produit d’un art qui me parut une révélation. On se représente trop volontiers l’art grec comme cherchant surtout à réaliser un idéal majestueux de beauté plastique au préjudice du mouvement. Ici, au contraire, aux qualités de forme, à la noblesse des attitudes se joint une exubérance de vie rappelant les grands maîtres de la renaissance italienne. Et bien que les membres soient plus sveltes, les muscles moins fortement marqués, c’est vers l’école de Michel-Ange que la pensée se reporte. En admirant ces belles choses, le désir nous est venu de rechercher ce qu’elles avaient pu être autrefois et d’étudier le peuple et le pays, trop ignorés, qui les ont produites.