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Favre, après un court silence, reprit : « Heureusement, vous leur avez beaucoup plu ! »

Je ne pus m’empêcher de trouver que les Allemands n’étaient pas difficiles sur les conditions à remplir pour leur plaire, et je racontai au vice-président du gouvernement de la défense nationale les actes et les dires de la journée pénible et si longue qui venait de finir.

« Je ne crois pas, me dit Favre, que la politesse prussienne soit mêlée d’un calcul. » Il ajouta qu’il l’avait subie dans le long tête-à-tête qui avait provoqué et décidé l’armistice. Épuisé, il avait dû accepter les offres matérielles d’un repas, que le chancelier, pour éviter toute indiscrétion des valets, avait été chercher, et avait lui-même porté et servi devant J. Favre. Il avait traité avec les soins d’un serviteur empressé, lui le vainqueur, debout, Favre assis devant une petite table surchargée de journaux, de papiers et de documens de toute nature.

A dix heures du soir, nous étions rentrés dans Paris. Je devais deux fois encore retourner à Versailles chez le chancelier, mais ce ne fut plus pour obtenir des vivres, car le zèle de tous fut si ardent que, malgré les difficultés, les obstacles, les impossibilités, les lignes des chemins de fer nous livrèrent immédiatement d’importans convois. Je courus chez Favre lui annoncer au milieu de la nuit l’arrivée du premier train ; il a raconté lui-même et je n’ai pas à redire l’émotion de son anxiété consolée.


II.

La famine n’était plus à redouter; mais ceux qui ont lu les dépêches télégraphiques de la fin de janvier et du commencement de février, écrites par le préfet de police de 1871, savent que la faim n’était pas le seul péril qui menaçait Paris.

En effet, aux désordres intérieurs de plus en plus graves s’ajoutait, dès notre retour de Versailles, un nouveau trouble dont les auteurs étaient fort intéressans. Une multitude agitée, étrangère à Paris, assiégeait durant le jour et durant la nuit la préfecture de police; elle se composait de ceux qui, par l’entremise des autorités allemandes, maîtresses des départemens occupés, avaient obtenu d’entrer dans la ville pour y visiter des parens, des amis dont on n’avait que des nouvelles incertaines depuis plus de cinq mois ; tous étaient arrivés portant de petites et précieuses provisions reçues avec joie et aussitôt employées et consommées. Les Prussiens avaient facilement autorisé les solliciteurs à traverser leurs lignes ; mais leur autorisation était muette sur le retour, et ce silence