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de nos postes, et seront repoussés par les officiers subalternes; puis les porteurs ne peuvent être admis dans Versailles, où réside le roi. En se privant de cette garantie, la chancellerie imposerait à la police allemande une surveillance difficile dont elle repousse la responsabilité. »

Je répondis qu’il était impossible de demander à l’autorité française de rédiger des laissez-passer en langue allemande; que si mon passeport dans sa forme paraissait incomplet pour la traversée des lignes prussiennes, c’était aux Allemands qu’il appartenait de fournir une autre pièce, émanée d’eux, et visant au besoin le laissez-passer; que, d’autre part, j’acceptais sur ce point comme sur les autres la responsabilité personnelle de l’exécution complète et sincère de l’armistice. Je produisis en même temps le texte du laissez-passer. Je l’avais heureusement, le matin même, porté au ministre, et il me servait utilement d’introduction pour atteindre le but cherché.

Le chancelier lut attentivement mon imprimé, qui rappelait les énonciations ordinaires du passeport ; il l’approuva en demandant pourtant le temps de le soumettre à l’examen de l’autorité militaire prussienne. Il me laissait pressentir qu’il serait indispensable de reproduire, en face des inscriptions en français, les mêmes énonciations en langue allemande; les officiers des armées alliées pourraient de cette façon, à leur tour, et dans les termes d’une consigne, remplir les formalités utiles à la sécurité même des porteurs.

Ce petit débat, engagé inopinément devant les officiers de la chancellerie prussienne, se continua encore. Au milieu des observations que soulevait l’interdiction de l’entrée à Versailles pour les porteurs de laissez-passer, quand j’eus obtenu qu’elle fût abandonnée au moins pour les habitans de cette ville réfugiés à Paris, je m’avisai de soulever la question spéciale de la police de la zone militaire que l’armistice avait neutralisée. N’était-il pas urgent d’empêcher la ruine ou le pillage des propriétés comprises dans ce périmètre qui devait rester isolé et sans garnison? J’avais le droit, dis-je, d’y envoyer des patrouilles armées et des agens.

M. de Bismarck sembla résister : « Je propose, dit-il, l’emploi de patrouilles mixtes; sans cette condition, il ne paraîtrait pas possible aux chefs de corps de laisser aborder leurs positions et leurs rangs par des troupes ou des individus armés. »

J’expliquai alors gravement et sérieusement l’impossibilité absolue de composer des patrouilles de Français, — soldats, mobiles, gardes nationaux, — et d’y mêler des Allemands. L’armistice deviendrait l’occasion d’une bataille : autant de patrouilles, autant de combats ! Le chancelier se rendit à cette raison, qui certes ne l’étonnait