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La conclusion qu’il en faut tirer est très simple. Il faut que la physiologie soit représentée à l’Académie des Sciences. Certains honorables académiciens ont pensé qu’il suffit pour cela de ne pas admettre les médecins et les chirurgiens à l’Académie. La médecine vraiment scientifique, c’est la physiologie expérimentale; autrement la médecine n’est pas une science, c’est un art, une application pratique ; et à ce titre elle ne doit pas faire partie des sciences représentées à l’Académie.

Nous ne pensons pas que cette opinion soit justifiable. En effet, la médecine et la physiologie sont tout à fait distinctes, et on ne peut pas plus les confondre que la chimie avec la physique. Toutes les sciences se touchent : ce ne sont que des classifications plus ou moins artificielles, et il est certain que les lois de l’organisme malade ne sont pas complètement distinctes des lois qui régissent l’organisme sain. Mais quand le but est différent, quand les méthodes varient, quand les moyens d’investigation ne sont pas les mêmes, il n’y a pas lieu d’établir une identité qui n’existe pas réellement.

Faut-il donc exclure les médecins et les chirurgiens de l’Académie? Cette exclusion serait absolument injuste. La médecine est une vraie science; elle a ses méthodes, — l’observation des malades, l’ouverture des cadavres, l’examen des divers modes de traitemens. Elle a aussi ses hommes; et les médecins, par cela même qu’ils sont des praticiens, sont aussi des savans, en ce sens qu’ils cherchent aussi à connaître quelques-unes des lois qui gouvernent les choses. De fait, la médecine et la chirurgie occupent, dans le passé comme dans le présent, une place assez importante pour mériter une situation au moins égale à l’économie rurale et à l’art vétérinaire. Quant à la physiologie, elle a depuis quarante ans glorieusement conquis sa place parmi les sciences expérimentales, et la lui refuser, ce serait revenir en arrière, remonter aux dernières années du XVIIIe .siècle, alors qu’on n’étudiait pas et qu’on ne connaissait pas les conditions de la vie des êtres[1].

Quant aux mesures à prendre pour remédier à cette omission, il ne nous appartient pas de les signaler; mais nous ne doutons pas que, si l’Académie est consultée par le ministre, elle ne trouve quelque moyen d’opérer cette réforme nécessaire. Un corps savant s’honore quand, au lieu de rester dans les limites étroites des règlemens anciens, il se conforme à la marche progressive des sciences, ne restant pas immuable alors que tout progresse à côté de lui.


Le directeur-gérant : C. BULOZ.

  1. Quelle admirable section de physiologie pourrait être constituée avec certains membres mêmes de l’Académie des sciences, par exemple avec MM. Milne Edwards, Pasteur, Bouley, Vulpian, Van-Tieghem, Marey! Ce ne sont pas les physiologistes qui font défaut à l’Académie, et la constitution de cette section n’offrirait aucune difficulté, même sans qu’on eût recours à de nouvelles élections.