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La presse scientifique s’est occupée récemment d’une question fort intéressante. Il s’agit, non pas de la réorganisation de l’Académie des Sciences, — le mot serait trop ambitieux, — mais d’une réforme à établir, ou plutôt d’un oubli à réparer.

On sait que l’Académie des sciences, fondée à la fin du XVIIe siècle, a été réorganisée en 1795 sous le directoire et qu’elle a conservé à peu près absolument la forme qu’on lui donna alors. Elle était divisée en dix sections, chacune de six membres (Mathématiques, — Mécanique, — Astronomie, — Physique, — Chimie, — Minéralogie, — Botanique, — Anatomie et Zoologie, — Médecine et Chirurgie, — Économie rurale et Art vétérinaire). En 1803, on institua une nouvelle section (Géographie et Navigation) composée de trois membres. Cette section fut complétée en 1866 par un décret impérial, et le nombre des membres fut porté de trois à six. Il y a donc actuellement onze sections, composée chacune de six membres.

Il reste cependant une science qui n’est pas représentée à l’Académie, ou du moins qui ne l’est que par un subterfuge. C’est la physiologie. Cela se comprend sans peine. En 1795, la physiologie n’existait pas. L’étude expérimentale des fonctions de la vie ne date guère que de Bichat, Legallois, Magendie, Ch. Bell et Flourens, c’est-à-dire des vingt et une premières années de ce siècle. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que le législateur de 1795 ait passé sous silence une science qui n’avait presque pas de représentans, et qui était confondue avec la médecine et la chirurgie.

Déjà, en 1821, alors que des savans illustres comme ceux dont nous venons de citer les noms eurent établi les bases de la physiologie expérimentale, Étienne Geoffroy Saint-Hilaire protestait contre cette omission si facilement réparable: « La physiologie, disait-il, a été omise lors de la fondation de l’Institut. L’embarras où nous nous trouvons ne tient pas seulement à l’imperfection primitive de nos statuts ; il résulte surtout du perfectionnement des sciences : dans la formation de l’Académie, on n’avait pas prévu ces brillantes acquisitions de l’esprit humain. Il n’y a nul doute qu’on doive accueil et très grand accueil à ces sciences nouvelles. » Si telle était en 1821 l’opinion d’Étienne Geoffroy-Saint-Hilaire, que dirait-il aujourd’hui en 1881, alors que, depuis soixante ans tant de magnifiques travaux, tant de belles découvertes ont fait connaître les principales lois des fonctions de la vie ? Nous ne craindrons pas d’être démenti en disant que, dans le cours de ce siècle, nulle science, si ce n’est peut-être la chimie, n’a fait autant de progrès que la physiologie. Il n’y aurait, pour s’en assurer, qu’à comparer un livre de physiologie de 1795 à un des ouvrages contemporains. C’est à peine si, de loin en loin, on trouve dans les ouvrages du XVIIIe siècle quelque fait intéressant. La physiologie expérimentale n’a été vraiment faite qu’au XIXe siècle.