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le système électoral ; c’est cette inconsistance des choses et des hommes qui fait qu’on ne sait plus, ni quelle est la politique extérieure et intérieure de la France, ni s’il y a un ministère et ce qu’il représente, ni quel est le rôle, quels sont les rapports des principaux pouvoirs publics ; c’est, en un mot, cette incertitude universelle où l’on finit par ne plus distinguer ce qui pourra arriver demain, parce qu’on ne voit pas bien ce qui se passe aujourd’hui et qu’on ignore encore plus qui dispose de ce lendemain énigmatique. Voilà le danger! Y a-t-il réellement une crise? n’est-elle que suspendue ou ajournée dans l’intérêt de l’emprunt nouveau qui vient d’être ouvert? C’est la question qu’on s’est adressée entre curieux depuis une semaine, à l’occasion de la proposition qui a pour objet de substituer le scrutin de liste au scrutin d’arrondissement dans les élections prochaines. Il n’y a que peu de jours, une note d’une agence semi-officielle a pris soin de nous prévenir que M. le président de la chambre des députés avait rendu visite à M. le président de la république à l’Elysée, que l’entretien avait duré plus de deux heures, qu’il avait été très cordial, — et la note ajoutait, non sans une certaine solennité un peu bizarre : « Tout porte à croire que les deux présidens se sont entendus. » Qu’est-ce à dire? Il y a donc deux présidens dans l’état, et ces deux présidens ne s’entendaient pas, puisqu’ils ont eu besoin de se réunir en conférence diplomatique pour chercher à s’entendre! Encore se sont-ils effectivement entendus, comme on l’a dit? Il ne le semble guère, puisqu’au lendemain de la note paraissait un récit non moins authentique de l’entrevue précisant les raisons très sérieuses par lesquelles M. Jules Grévy a maintenu son opinion en faveur du scrutin d’arrondissement, tandis que M. Gambetta a plaidé la cause du scrutin de liste. C’est là un étrange spécimen de l’entente des « deux présidens» dans l’ordre constitutionnel tel qu’on le pratique. D’un autre côté, que pense le ministère de tout cela? Quelle est son attitude dans cette affaire? M. le président du conseil a fait, lui aussi, sa visite à la commission nommée par la chambre; il a comparu pour déclarer à peu près qu’il n’avait rien à dire en ce moment ! La vérité est que le ministère est divisé en deux camps, les uns restant avec M. le président de la république, les autres suivant M. le président de la chambre des députés, et, pour ne pas précipiter le conflit, M. le président du conseil, parlant au nom du cabinet, s’est réservé le droit d’avoir une opinion, — un peu plus tard, selon les circonstances. L’entente, à ce qu’il paraît, est la même partout, entre les ministres comme entre les « deux présidens! »

De toute façon, que la crise dont on a parlé un instant soit ajournée ou précipitée, elle n’existe pas moins, elle est dans le fond des choses; elle est la conséquence immédiate de cette proposition de réforme électorale dont on n’avait prévu d’abord ni le caractère ni les effets. D’un côté sont ceux qui, avec M. Gambetta pour chef ou pour auxiliaire prépondérant,