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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 mars 1881.

Si les hommes qui ont l’orgueil de conduire les affaires des peuples mettaient un peu de prévoyance dans leur ambition, ils redoubleraient de vigilance, d’attention, même, si l’on veut, d’inquiétude, à mesure qu’ils se croient mieux assurés du succès. Ce n’est pas tout, en effet, d’avoir réussi, d’avoir triomphé des obstacles et des contestations passionnées, d’avoir fondé un régime dont la première, la plus évidente raison d’être, à vrai dire, a été d’abord l’impossibilité de tout autre régime. Avec le succès, — ce n’est pas d’aujourd’hui qu’on le remarque, — s’élèvent des questions plus graves, plus épineuses. Il s’agit de savoir ce que deviendra ce régime laborieusement établi, quel caractère il prendra, s’il s’adaptera aux mœurs, aux goûts, aux intérêts du pays, ou s’il ne sera que la domination bruyante, agitatrice, d’un parti infatué de victoire et de pouvoir. C’est le problème qui se débat avec la république telle qu’elle existe depuis quelques années, et pour ceux qui suivent la marche des choses, non à la manière des optimistes complaisans, mais d’un regard calme, sans malveillance comme sans illusion, l’expérience n’est peut-être pas absolument décisive encore. La question est engagée; elle l’est plus que jamais à l’heure qu’il est dans ce tourbillon d’influences contraires, de faux conseils, de calculs équivoques et de passions intéressées qui représentent toute la politique du jour, qui peuvent décider de l’issue définitive de l’expérience.

Le mal le plus caractéristique, le plus grave du moment pour le succès de la république, n’est pas sans doute précisément la violence des actes ou des idées, quoique la violence fasse quelquefois de singulières apparitions dans nos affaires; il y a heureusement désormais dans les mœurs, dans l’instinct public, dans un certain état tempéré de civilisation, un frein pour de trop crians excès. Le danger le plus sérieux, le plus immédiat, c’est la confusion des conseils, l’abus de l’esprit de parti se traduisant en incohérences parlementaires, l’impatience de changement, le besoin de tout remettre en doute, tantôt les lois constitutives de l’administration ou de la magistrature ou de l’armée, tantôt