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Un grand pas pourtant avait été fait : la plèbe, c’est-à-dire les nouveaux habitans, les intrus, était entrée officiellement dans la cité. Elle faisait partie des mêmes comices que les patriciens; pour les uns et les autres, il n’y avait plus qu’une patrie. Ce précieux avantage obtenu, elle ne tarda pas à en conquérir d’autres. On sait comment elle parvint, à force de plaintes et de menaces, à emporter la création d’une magistrature spéciale, le tribunat, chargée de protéger les intérêts populaires. Il tombait sous le sens que ces nouveaux magistrats ne pouvaient pas être élus dans l’assemblée des centuries, qui, comme on vient de le voir, était tout à la discrétion des nobles ; ils furent nommés par des assemblées nouvelles (comitia tributa), dans lesquelles le peuple n’était plus réuni et groupé d’après la naissance et la fortune, comme dans les anciens comices, mais où chacun votait selon le quartier qu’il habitait. C’est le principe qui a fini de nos jours par prévaloir dans tous les états libres. A cet effet, la ville et le territoire de Rome furent divisés en un certain nombre d’arrondissemens territoriaux qu’on appelait des tribus. Vers la fin de la république, il y en avait trente-cinq : quatre pour la ville, qu’on appelait les tribus urbaines, et trente et une tribus rustiques, ou de la campagne. Tous les citoyens, sans distinction de fortune ou de rang, votaient avec la tribu dans laquelle ils étaient inscrits. Ces assemblées démocratiques, qui, comme on le pense bien, étaient fort du goût de la plèbe, ne tardèrent pas à prendre une grande importance. Elles attirèrent à elles une partie de la puissance législative, et finirent par rendre leurs décisions obligatoires pour l’état tout entier, ce qui était le plus grand de tous les triomphes.

Elles obtinrent même un plus beau succès encore ; elles arrivèrent à modifier radicalement l’assemblée des centuries, à lui donner une forme et un caractère nouveaux. Il était, en effet, difficile qu’avec les progrès de la plèbe la vieille institution de Servius restât comme on l’avait faite. Quelque patience qu’on supposât au peuple, il ne pouvait pas toujours supporter un système d’élection qui donnait infailliblement le pouvoir à ses ennemis. A quoi servait-il d’avoir rendu le consulat accessible à tout le monde, si, par la façon dont on votait, les plébéiens ne pouvaient presque jamais y parvenir? On comprend donc qu’ils aient travaillé de toutes leurs forces pour changer l’ancienne assemblée des centuries dans un sens plus démocratique. Ce qui est curieux, c’est qu’on ignore à quel moment et de quelle manière ils y sont arrivés. Les historiens sont muets sur cette victoire de la plèbe, une des plus grandes assurément qu’elle ait remportées. On ne connaît même pas dans tous ses détails l’organisation des nouvelles assemblées électorales,