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jamais qu’à la dernière extrémité, et cherchant dès le lendemain quelque biais habile pour reprendre ce qu’elle a perdu la veille. Sans revenir sur les détails de cette lutte qui forme toute l’histoire romaine, je vais me contenter de rappeler en quelques mots ce qui touche plus directement au droit de suffrage.

Aussi haut qu’on remonte dans l’histoire de Rome, on se trouve en présence d’assemblées populaires où l’on vote des lois, où l’on élit les magistrats de la cité. M. Gentile fait remarquer avec un certain orgueil « que le droit de participer à l’administration des affaires publiques a été de tout temps inséparable du titre de citoyen romain, et que, si les pâtres de la légende reconnurent Romulus pour chef, ils entendaient bien qu’on les regardât eux-mêmes comme les premiers dépositaires et la source de l’autorité, puisqu’ils réglèrent qu’à la mort du roi le pouvoir suprême reviendrait à l’assemblée du peuple, qui en disposerait à son gré. » Cette assemblée est celle des curies, qui ne renferme que les vrais citoyens, c’est-à-dire les descendans de ceux qui ont fondé Rome[1]. A côté d’eux viennent tous les jours s’établir des habitans nouveaux, qui arrivent des pays vaincus, ou qu’attire la réputation de la jeune ville. A ceux-là on ne veut d’abord accorder aucun droit; ils forment la plèbe, qui n’a pas de place dans l’assemblée des curies, parce qu’en réalité elle ne fait pas partie de la cité véritable. Mais on comprend que cette exclusion ne pouvait pas durer toujours. Le nombre des plébéiens augmentait sans cesse, et leur importance avec leur nombre; il fallait bien qu’on se résignât à leur donner quelque satisfaction. D’ailleurs l’esprit politique des patriciens combattait chez eux l’amour de leurs privilèges. Ils sentaient que, pour accomplir ses grandes destinées, Rome avait besoin de ne pas s’enfermer, comme les républiques grecques, dans un patriotisme jaloux, qu’il lui fallait se renouveler sans cesse en appelant ses voisins à elle, et que, si elle voulait les retenir, après les avoir appelés, il était nécessaire qu’elle leur donnât des droits politiques et transformât ces hôtes en citoyens. C’est ce que fit la constitution de Servius, quand, à côté de l’assemblée des curies, qui ne comprenait que les patriciens,

  1. Il est bien entendu que je ne vais pas entrer ici dans le détail des discussions et des controverses que toute cette vieille histoire soulève. Les savans sont divisés sur presque chacun des points que je vais traiter. Je me contenterai de développer l’opinion la plus vraisemblable et la plus généralement acceptée, sans tenir compte des objections qu’on a élevées contre elle. On peut voir, pour de plus amples renseignemens, le Droit public romain de M. Willems, professeur à l’université de Louvain, ou, si l’on veut un ouvrage plus développé et plus savant, le Römisches Staatsrecht, de M. Mommsen. L’illustre professeur de Copenhague, M. Madvig, prépare, sur toutes ces questions, un livre important qui va bientôt paraître en danois et en allemand.