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passés impunément sous ses yeux, mais la dévastation n’en avait pas moins continué, et il avait cessé son feu dans la crainte d’atteindre le village et des habitans inoffensifs.

Il était assez difficile de donner sa signification réelle à un semblable événement. L’agglomération des troupes noires sur la frontière en était sans doute la cause par la perspective du pillage, mais il n’avait pas eu l’aveu direct des autorités américaines. On pouvait même croire que ce fait excessif amènerait avec lui son remède, que le cabinet de Washington le désavouerait, que les généraux Sheridan et Weitzel s’apercevraient que leurs soldats les déshonoraient. On pouvait supposer que, si Bagdad eût été pris régulièrement, avec ordre et sans pillage par les troupes américaines noires et blanches, c’eût été un fait de la plus haute gravité et dont la conséquence était une guerre très prochaine, mais que le débarquement d’une soldatesque sans frein mettrait moralement de notre côté tous ceux qui, aux États-Unis, ne voulaient pas être rangés parmi les assassins et les voleurs. Cette appréciation, généreusement indignée, du sac de Bagdad nous permettait de n’y pas voir une agression préconçue des Américains contre nous; c’était son principal avantage. Quant aux Américains, ils allaient nier toute participation à la subite invasion de leurs troupes et tenter toutefois d’en profiter.

Ce qui donnait pour nous à cet événement une gravité immédiate, c’était la présence dans le Rio-Grande, — où ils se trouvaient pris entre Matamoros, qu’un sort semblable à celui de Bagdad attendait peut-être, et Bagdad, occupé par les libéraux, — des vingt-huit Français de l’Antonia. Retenus par le général Mejia, pas assez impérieusement réclamés par le commandant Collet, ils n’étaient pas encore à bord au commencement de janvier 1866, malgré les injonctions très catégoriques du commandant Cloué. Le 4 cependant, ils étaient arrivés à Bagdad, et l’officier qui les commandait, M. de la Bédollière, était allé prendre des ordres à bord de la Tisiphone. Pendant que le mauvais temps l’y avait surpris, les libéraux s’étaient emparés de Bagdad. Après l’attaque, l’Antonia avait été le refuge d’une partie de la garnison. Montée par ses vingt-huit matelots, que commandait un brave homme, le second maître canonnier Le Guyec, elle avait reçu quarante Autrichiens et deux officiers, douze Mexicains chargés de l’artillerie de la place et cent cinquante soldats. Les quarante Autrichiens et les douze Mexicains étaient destinés à composer l’armement de l’Antonia après l’évacuation de nos marins si on avait eu le temps de l’exécuter. L’avis du second maître Le Guyec était de sortir du Rio-Grande et d’aller en rade. L’Antonia se fût sans doute échouée sur la barre, mais la Tisiphone serait parvenue à recueillir tout le monde, et nous n’aurions