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Ce n’est là le fait ni d’un soldat, ni d’un marin, et l’histoire de nos colonies le prouve. Esclaves de la discipline, exécuteurs fidèles des ordres qu’on leur transmet, ils ont administré nos colonies avec zèle et dévoûment, avec une intégrité absolue, mais sous eux et par eux nos colonies sont restées stationnaires; or, toute colonie qui ne progresse pas recule. Le repos, le statu quo sont l’apanage des nations parvenues à leur apogée, et qui n’ont plus qu’à descendre.

Pénétrons plus avant dans le détail des faits. Pourquoi l’immigration affluait-elle aux Sandwich et faisait-elle défaut à Tahiti? Aux Sandwich, on l’encourageait, on l’appelait, on la facilitait. L’émigrant n’avait pas, en débarquant, à demander de permis de séjour, à justifier de ses moyens d’existence. Il pouvait aller, venir, sans être entravé dans sa liberté d’action. Les règlemens de police étaient simples ; du moment qu’il s’y conformait, il était en règle. A Tahiti, on exigeait de lui des formalités sans nombre. Il n’était que toléré au début; de là à être surveillé il n’y a pas loin. Il devait justifier de ses moyens d’existence, expliquer d’où il venait, ce qu’il entendait faire, à quel genre d’industrie il comptait se livrer. J’assistais un jour sur les quais de Honolulu au débarquement d’une goélette arrivant de Tahiti. Parmi les passagers je reconnus à ses allures un compatriote; je l’interrogeai en français; tout heureux de trouver quelqu’un qui parlât sa langue, il me raconta son histoire. Après un séjour au Chili, il s’était rendu à Papeité. A peine débarqué, on lui demanda entre autres questions s’il avait des capitaux. « Si j’en avais, je ne viendrais pas ici. » Cette brusque réponse parut un peu séditieuse. On l’accueillit assez mal; ennuyé des formalités qu’on exigeait de lui, il se lassa; quinze jours après, il partait pour Honolulu. Je le revis deux ans plus tard. Il avait gagné une assez jolie somme pour un ouvrier, environ 25,000 francs, et possédait en outre un terrain qu’il plantait en cannes à sucre, à la suite d’un contrat passé avec une plantation voisine qui lui achetait ses produits. Il me dit qu’il espérait dans cinq ans avoir assez d’argent pour établir un moulin.

Ce n’est pas là un fait isolé. Une petite île dépendant de l’archipel Havaïen est louée à bail, pour un long terme, par une famille anglaise précédemment établie dans l’archipel de la Société. Le chef de cette famille disposait de capitaux assez considérables et voulait se livrer à l’élevage du bétail. Il faut pour cela de grands terrains. Promené pendant six mois de l’un à l’autre, découragé par les exigences méticuleuses de l’administration tahitienne, il avait, lui aussi, quitté notre colonie pour émigrer aux Sandwich.

On a cru bien faire, en effet, en transportant dans notre colonie