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cette vie molle et efféminée des Tahitiens, ce libertinage qu’on leur reproche, étaient encore loin de celui de nos villes et de la corruption de notre civilisation. Chez eux l’habitude convertissait en un cérémonial de politesse cette prostitution dont on a exagéré les résultats! »

Si les uns reprochaient aux missionnaires protestans d’ennuyer les indigènes et de substituer au libertinage commode et facile d’un passé regretté l’austérité des mœurs présentes, d’autres, au nom d’intérêts privés, se disaient lésés et réclamaient une règle moins sévère. Le commerçant suivait le missionnaire et trouvait fort mauvais que l’observance du dimanche, les services religieux, la fréquentation des écoles, empêchassent les indigènes de se consacrer au travail qu’il attendait d’eux et qu’il rétribuait peu. A Tahiti, comme aux îles Sandwich, la vie est facile; l’indigène trouve en abondance et sans labeur ce qui est nécessaire à son existence. La douceur du climat l’affranchit de toute prévoyance. Les besoins limités et facilement satisfaits n’éveillent point en lui d’idées de convoitise, d’ambition, de richesses; aussi borne-t-il ses efforts à s’assurer le strict nécessaire et comprend-il peu la nécessité d’un travail rémunérateur. Il a fallu éveiller en lui des besoins nouveaux, créer des exigences matérielles, élargir son horizon borné à la satisfaction des appétits pour l’amener à défricher la terre, à cultiver le sol, à planter, récolter, à quitter ses îles pour s’embarquer à bord des navires baleiniers, pour aller fabriquer sur des îlots déserts l’huile de noix de cocos. Ce fut l’œuvre du temps; elle est loin d’être achevée, à Tahiti surtout ; au début, elle fut lente, difficile, et les commerçans impatiens se joignaient à ceux qui regrettaient les mœurs faciles pour accuser et dénigrer l’œuvre des missionnaires.

Ces accusations, ces dénigremens étaient de nature à encourager les missionnaires catholiques, dont le zèle n’avait d’ailleurs pas besoin d’être stimulé. Une première tentative faite en 1826 aux îles Sandwich avait échoué. Le gouvernement local s’était refusé à laisser débarquer les missionnaires catholiques. Le 2 juin 1833, un décret de la propagande, confirmé par le pape Léon XII, confiait à la maison mère de Picpus la tâche gigantesque de convertir au catholicisme toutes les îles de l’Océan-Pacifique, depuis les îles Sandwich jusqu’au tropique antarctique et depuis l’île de Pâques jusqu’à l’archipel Roggewein, dont Kotzebue et Krusenstern avaient cependant déjà démontré la non-existence.

A la fin de 1833, les missionnaires catholiques s’embarquaient à Bordeaux pour le Chili et de là gagnaient les îles Gambier, première étape sur la route de Tahiti. En 1836, ils abordaient à Papeité et sollicitaient une autorisation de séjour qui leur fut refusée. Contraints