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Les missionnaires et les résidens anglais ne pouvaient voir sans inquiétude et sans dépit le protectorat de la France s’étendre sur un archipel civilisé et colonisé par eux. Ils avaient mis à profit le long délai exigé alors par les communications avec l’Europe; les actes de l’amiral du Petit-Thouars étaient subordonnés à la ratification du roi et n’avaient jusque-là qu’un caractère essentiellement provisoire, ils s’en autorisèrent pour agir sur l’esprit mobile de la reine et des principaux chefs, leur démontrer que l’établissement du protectorat n’était autre chose que l’aliénation et la perte de leurs droits de souveraineté. Pomaré, jusqu’alors de leur part l’objet d’une considération passablement dédaigneuse, devint tout à coup une reine, sœur, par le rang, de la reine d’Angleterre, investie de droits et de responsabilités sacrés. Les bâtimens anglais lui rendirent les honneurs dus aux souverains, et on n’eut pas de peine à la faire revenir sur sa détermination première. Quittant Tahiti, elle se réfugia aux Iles sous le vent, attendant les événemens.

En France, le gouvernement regrettait que l’amiral n’eût pas purement et simplement arboré le pavillon français au lieu du pavillon du protectorat. On estimait l’attitude prise comme dangereuse, en ce sens qu’elle compromettait la France vis-à-vis de l’Angleterre sans lui donner une compensation réelle par une prise de possession définitive. Ces regrets, connus ou devinés par l’amiral, le décidèrent à profiter des circonstances nouvelles que lui offraient le revirement de la reine et la résistance des grands chefs.

En arrivant à Tahiti, le commandant Bruat se trouva en présence d’un désaveu de l’acte du 9 septembre 1842 et d’une résistance à main armée, soutenue et encouragée par les Anglais. La lutte s’engagea avec vigueur; des rencontres sanglantes eurent lieu à Mahauta, à Punaauia, et les hostilités ne cessèrent que par la prise du fort de Fautaua, emporté par les Français.

En France, l’opinion publique s’émut. Le gouvernement, qui comptait sur une occupation pacifique et qui redoutait des complications avec l’Angleterre, manifesta hautement son déplaisir. L’amiral du Petit-Thouars fut désavoué et son rappel décidé.

Nous trouvons dans la Revue rétrospective une dépêche de l’amiral qui prouve bien que la passion de parti faisait fausse route en affirmant qu’il n’avait fait qu’exécuter des instructions secrètes en prenant possession des états de Pomaré, et que son désaveu, bien ou mal entendu, n’était pas une lâche contradiction du cabinet du 29 octobre, ni une comédie à laquelle l’amiral n’eût pu se prêter sans compromettre son honneur. Cette dépêche est datée du Callao, 6 juillet 1844.

«... J’espère dans la justice du roi et de son gouvernement. S’ils ont été prompts à me frapper, ils me réhabiliteront sans