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dont une forte escouade alla sur-le-champ prendre possession. Elle y trouva douze cents rations de pain, vingt grandes cuves d’eau et une quantité d’affiches imprimées.

En fuyant, le comte de Saillans n’avait conservé près de lui que quatre de ses compagnons, son domestique, deux prêtres, l’abbé Pradon curé de Bannes, et l’abbé Boissin, curé de Puech, et un ancien carabinier nommé Nadal. Jusqu’au jour, il erra avec eux dans les bois. Le matin venu, il se dirigea, par des chemins de traverse, du côté de Villefort, d’où il espérait gagner un refuge qu’il s’était ménagé dans la Lozère. A sept heures, il se trouvait sur le territoire de la commune de Malons, quand il fut surpris au hameau des Aidons par une patrouille de gardes nationaux que commandait un ancien militaire, nommé Hyacinthe Laurent. Les fugitifs furent arrêtés et désarmés. Laurent les conduisit dans sa maison, située non loin de là et les interrogea. Le comte de Saillans se fit passer pour le curé de Barjac. Son interrogatoire terminé, il demanda à s’éloigner un moment. Laurent lui désigna une écurie. Il y entra et, croyant n’être pas vu, il cacha dans la crèche le portefeuille qu’il portait sur lui. Laurent, qui n’avait cessé de le surveiller, le fit conduire et enfermer dans une chambre. Il revint ensuite s’emparer du portefeuille, dont le contenu lui apprit que son prisonnier n’était autre que le comte de Saillans.

Accablé par l’évidence, celui-ci n’essaya pas de mer :

— Je suis en votre pouvoir, dit-il, voici ma croix; accordez-moi la liberté; je vous offre cinquante louis et fortune dans mon entreprise.

Comme Laurent résistait à ses offres, il lui sauta au cou et, en l’embrassant, le supplia de le sauver. Puis voyant l’inutilité de ses efforts il fit mine de vouloir l’étrangler :

— Si nous étions seuls, reprit-il, et si je ne craignais tes camarades, ton affaire serait faite.

A cela se borna sa résistance ; ses compagnons se nommèrent à leur tour. Alors Laurent fit battre la générale dans sa petite commune des Aidons, où se déroulait cet épisode, réunit une quinzaine d’hommes et se mit en route avec eux pour conduire les prisonniers aux Vans. Une estafette les précédait, annonçant sur son chemin la grande nouvelle qu’elle portait à Joyeuse, au directoire départemental en même temps que les papiers saisis sur le comte de Saillans. Le directoire, averti déjà de l’évacuation du château de Bannes délibérait encore avec le général d’Albignac sur les moyens de rétablir la tranquillité publique. Il prit connaissance de la lettre de Laurent des documens qui l’accompagnaient et décida qu’il se transporterait à la rencontre du chef des insurgés. Il décida également que vu la difficulté de garder sain et sauf dans le département