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les exécuter. Il était de ses partisans auxquels, ce jour-là, il ordonnait tout à coup, par un message, de « se mettre à la tête des mécontens et d’aller attaquer le Puy, dans la nuit du 8 au 9. » Et il ne s’était même pas préoccupé de savoir si la route très longue qui sépare l’Ardèche de la Haute-Loire était libre ! Il avait encore écrit : « La contre-révolution sera faite partout le même jour, au moment où les armées de deux grandes puissances commenceront leurs opérations. » Et il avait négligé de s’enquérir de ce qui était préparé pour assurer la simultanéité de ces divers mouvemens. Jamais général d’armée n’a entassé au même degré folies sur folies.

Il n’y a donc pas lieu de s’étonner si durant cette journée funeste il avait reçu, non les secours qu’il attendait, mais d’amers reproches. Lui-même en avait adressé à l’abbé Claude Allier, laissant éclater enfin, dans ce péril suprême, l’irritation qui gonflait son cœur. Il en était résulté entre lui et le prieur une vive querelle, à la suite de laquelle celui-ci avait disparu, humilié et désespéré de n’avoir pu réunir, au lieu de l’armée nombreuse et disciplinée qu’il ne cessait depuis deux mois de promettre, que quelques centaines d’hommes.

Pour ces diverses causes, le comte de Saillans ne pouvait, après la déroute de Saint-André-de-Cruzières, mettre en doute l’étendue de son malheur. Il était perdu et il le comprit. À la fin du jour, retranché dans le château de Bannes avec une poignée d’hommes, il était cerné de toutes parts, sans avoir pu conserver un seul des postes qu’il occupait la veille. Entre la place, son unique et dernier refuge, et la Lozère, où il espérait trouver des secours, s’étendait un cordon de troupes qui lui fermait l’accès de ce département. Alors il eut un cri de douleur et de colère dont les documens officiels nous ont transmis l’accent énergique et la forme brutale.

— Je suis f… ! dit-il ; on m’avait promis quinze mille hommes, et je n’en ai pas mille.

À bout d’expédiens, il se décida à imiter ce qu’il voyait faire autour de lui depuis le matin, à fuir à son tour et à se dérober ainsi aux douloureux traitemens dont il était menacé. Il fit part de son projet aux quelques hommes restés fidèles à sa fortune. Tous l’approuvèrent ; aucun d’eux n’aurait pu conseiller un autre parti. Il rédigea une proclamation pour l’armée royaliste.

« Nous François-Louis, comte de Saillans, disait-il,.. voyant avec la plus grande peine les calamités qu’entraîne une guerre pour ainsi dire générale dans le royaume, notamment dans le Vivarais, les uns contre les autres, à causes de différentes opinions, je déclare en mon propre et privé nom que, fatigué des excès que le peuple éprouve, je demande que chacun rentre chez soi et qu’on y soit parfaitement libre et tranquille. Nous promettons de ne commettre