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eux plusieurs prêtres qui vivaient depuis quelques semaines dans la commune de Naves, à 2 kilomètres des Vans, et qui étaient venus dans cette ville en apprenant la prise du château de Bannes par le comte de Saillans. L’un de ces prêtres fut sauvé par le capitaine de Bois-Bertrand, qui venait d’arriver et qui favorisa sa fuite. On donna aux autres pour prison une salle de la mairie, où ils furent gardés, au nombre de neuf, par une populace armée et bruyante que dépitait le succès des royalistes. Des individus convaincus d’être des espions du comte de Saillans périrent sous les coups de ces furieux. Déjà, la veille, un royaliste de Saint-Ambroix, que l’on conduisait prisonnier à Alais, avait été tué par ses gardiens.

Au reste, tout le pays, des Vans à Saint-André-de-Cruzières, était en proie à la guerre civile. Dans la plupart des communes, le tocsin sonnait sans interruption; de toutes parts grondait la fusillade ; les mairies étaient assiégées par des gens qui demandaient des armes sans dire quel usage ils en voulaient faire. Un grand nombre de maisons étaient au pillage. Enfin, sur divers points, s’engageaient des combats isolés entre des détachemens rivaux, comme dans la commune de Meyranne, où trois jeunes gens appartenant au parti royaliste, fortifiés dans une habitation, soutinrent pendant cinq heures le choc d’une troupe nombreuse et lui tuèrent plusieurs hommes. Mais ce n’étaient là que de rares exemples d’énergie et de courage. Contrairement aux espérances du comte de Saillans et aux craintes du directoire de l’Ardèche, qui avaient cru l’un et l’autre que la prise du château de Bannes accroîtrait le prestige de la cause contre-révolutionnaire et serait le signal du soulèvement, la masse du peuple ne bougeait pas. Les menaces des agens royalistes, les appels désespérés de leurs chefs n’y pouvaient rien. La confiance manquait, comme si tous ces braves gens, qui pendant deux années de suite s’étaient laissé entraîner au camp de Jalès, eussent deviné l’incapacité de ceux qui les menaient et compris l’impossibilité de vaincre.

Dès le 4 juillet, circulaient des avis dans le genre de celui-ci: « Vous n’avez pas un instant à perdre, messieurs; rassemblez le plus de monde que vous pourrez, avertissez les campagnes; les protestans veulent d’ici après-demain exterminer nos frères les catholiques; au moment où je vous parle, il en est peut-être deux cents d’égorgés. Je vous le répète, vous n’avez pas un instant à perdre. » La signature du comte de Saillans figurait au bas de cette lettre mensongère. C’est qu’il fallait à tout prix entraîner les populations, les entraîner par l’effroi si la persuasion ne suffisait pas. Après la prise du château de Bannes, les appels devinrent plus pressans. La capitulation avait été signée le 8; le même jour, le comte de Saillans l’annonçait à toutes les municipalités qu’il croyait