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la porte fut ébranlée soudain par des coups violens accompagnés de cris. Sur le conseil de Ginhoux, ils ne répondirent pas. Mais l’aubergiste, beau-frère de ce dernier, déjà retiré dans sa chambre, ouvrit une croisée et aperçut une bande d’environ deux cents hommes, commandée par un individu jeune encore, vêtu d’un uniforme bleu et blanc, à boutons jaunes, portant une épaulette de lieutenant. Il essaya d’abord de parlementer, mais des huées couvrirent sa voix, il prit peur et alla se cacher dans un grenier, où il passa toute la nuit, insensible aux cris et aux plaintes qui arrivaient à ses oreilles.

Il eut à peine disparu que la bande recommença à secouer furieusement la porte en criant :

— Vive le roi ! A bas la nation ! A bas la constitution !

Alors le maître d’école Ginhoux commit l’imprudence d’ouvrir et, s’adressant aux mutins, il dit :

— Ce n’est pas à une pareille heure qu’on vient chez les gens; il n’y a ici que de braves soldats qui exécutent les ordres qu’ils ont reçus.

Comme les braillards ne voulaient rien entendre et commençaient à proférer des menaces, Ginhoux prit un fusil et, s’il faut en croire l’affirmation de l’un des témoins entendus plus tard, lors de l’instruction de cette affaire, il les mit en joue et tira sur eux. Il est vrai qu’il n’en atteignit aucun. Mais il avait fourni un prétexte à leurs fureurs. Ils se précipitèrent dans la salle. Le maître d’école et ses compagnons furent arrêtés; on leur lia les mains et, tandis que l’officier faisait avertir le comte de Saillans de la capture qui venait d’être opérée, on les gardait à vue. Le comte de Saillans ordonna qu’on les conduisît auprès de lui. Il se trouvait en ce moment dans l’une des maisons de Berrias; il y avait passé la nuit et il était cinq heures du matin quand les prisonniers furent mis en sa présence, sur le seuil de cette maison.

— Vous avez enfreint les ordres du roi, leur dit-il durement; vous êtes dignes de mort. Un conseil de guerre va prononcer immédiatement sur votre conduite.

Une heure plus tard, après un interrogatoire sommaire, ces malheureux s’entendaient condamner à être sans délai passés par les armes, les soldats pour avoir escorté un convoi de vivres destiné à la garnison du château de Bannes, Ginhoux pour avoir tenté de les protéger contre une troupe d’énergumènes. On les ramena à l’auberge Tournayre, une chambre leur fut donnée pour prison; on leur fit savoir qu’en l’absence du curé non assermenté de Berrias, celui de Bannes allait venir les confesser. Mais il ne leur fut pas donné de l’attendre. Un attroupement s’était formé devant l’auberge. On vociférait, on voulait leur tête. Tout à coup,