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relève de cette idée. Il est probable que le mot athée est ici synonyme de criminel et que les auteurs n’y ont pas vu autre chose que la licence des mœurs. C’est donc Molière qui a conçu l’idée d’un grand seigneur systématiquement impie, bravant le ciel et la terre et niant ouvertement sur la scène l’existence de Dieu. C’était là une audace qui ne devait pas mieux réussir que celle de Tartufe. Les mêmes imputations de scandale et d’irréligion furent renouvelées, et la pièce fut obligée de disparaître après quinze jours de représentation.

On nous a conservé le virulent pamphlet qui fut écrit contre Don Juan, aussitôt après la première représentation, sous le nom d’un M. de Rochemont, mais attribué par quelques érudits à Barbier d’Aucourt, l’un des écrivains de Port-Royal. Nous y trouvons tous les griefs du parti dévot, qui, bien loin d’être désarmé par cette vive peinture de l’athéisme, n’y vit qu’une aggravation du scandale de Tartufe. L’auteur des Observations sur le Festin de Pierre[1] commence en jouant la légèreté et la malice ; il feint de rendre justice à Molière et croit lui décocher les traits les plus sanglans sans se douter combien il accuse lui-même par là la pauvreté et la platitude de son esprit : « Il est vrai, dit-il, qu’il y a quelque chose de galant dans les ouvrages de Molière, et que, s’il réussit mal à la comédie, il a quelque talent pour la farce. » Ce n’est même là qu’une feinte concession, car il ajoute : « Quoi qu’il n’ait ni les rencontres de Gautier-Garguille, ni les impromptus de Turlupin, ni la bravoure du capitan, ni la naïveté de Jodelet, ni la panse de Gros-Guillaume, ni la science du docteur, il ne laisse pas de divertir quelquefois et de plaire en son genre. » Il lui reproche de n’avoir pas le talent de l’invention ; mais il reconnaît qu’il traduit assez bien l’italien et parle passablement français. Malgré tout cela, il faut bien reconnaître le succès, et le critique avoue que Molière a eu du bonheur « de débiter avec tant de succès sa fausse monnaie et de duper tout Paris avec de mauvaises pièces. »

Bientôt, arrivant à des points plus sérieux et renonçant à la badinerie, l’auteur accuse ouvertement Molière de tenir école de libertinage et de faire de la majesté divine le jouet d’un maître et d’un valet de théâtre, « d’un athée qui s’en rit et d’un valet qui en fait rire les autres. » A la vérité, l’athée est foudroyé en apparence, mais en réalité, c’est lui qui foudroie les fondemens de la religion. Ce n’est pas du premier coup, c’est « par degrés que Molière a fait monter l’athéisme sur le théâtre. Mais la chasteté et la foi ayant entre elles, suivant Tertullien, une alliance étroite, c’est d’abord en

  1. Œuvres de Molière, tome V, page 217.