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ont interrompu quelque temps la publication ; mais l’œuvre ne pouvait rester en suspens, et deux autres écrivains, non moins dévoués que les précédens, ont accepté de continuer leur tâche : M. Desfeuille, ami de Despois, s’est chargé cette fois de la critique du texte; M. Paul Mesnard, si apprécié des lettrés pour ses charmantes notices sur Racine et sur Mme de Sévigné, a consenti d’accepter le même travail sur Molière. C’est à lui que nous devons les notices consacrées, dans ces deux derniers volumes, à Tartufe, à Don Juan et au Misanthrope. L’historique du Tartufe est une monographie d’une précision supérieure et d’un vif intérêt. Parmi les faits importans démontrés par M. Paul Mesnard, nous signalerons celui-ci : c’est l’antériorité du Tartufe sur Don Juan, malgré toutes les éditions, qui, ne tenant compte que des représentations publiquement permises, placent celui-ci avant celui-là. De là une erreur grave, généralement commise : c’est que la tirade de l’hypocrisie dans Don Juan serait une annonce et une ébauche de Tartufe, tandis que, dans la réalité, elle a été une récidive et une réplique. La notice sur Don Juan est l’étude approfondie et complète des diverses éditions de cette pièce célèbre et des variantes de Molière, qui ont tant d’importance au point de vue philosophique, ainsi que des diverses pièces qui ont pu servir de modèle. Enfin, dans la notice du Misanthrope, on trouvera non-seulement une étude historique, mais un modèle excellent de critique littéraire, dont nous profiterons largement dans notre propre étude. Au reste, on doit s’attendre que M. Paul Mesnard ne se borne pas à la pure érudition. Il introduit discrètement et finement la question d’art dans l’étude des faits, et sans manquer jamais aux devoirs stricts du bibliographe, il ne laisse pas prescrire les droits de la littérature et du goût.


I.

La comédie du Tartufe donne lieu à trois questions intéressantes : La comédie a-t-elle le droit de se mêler des choses divines et de prendre en main la défense de la vraie dévotion contre la fausse? — Peut-on, d’un autre côté, attaquer la fausse dévotion sans compromettre la véritable, les signes de l’une et de l’autre étant extérieurement les mêmes? — Enfin, Molière, en combattant l’hypocrisie, n’a-t-il pas eu, malgré toutes ses précautions et ses apologies, un dessein plus profond, et le Tartufe ne serait-il pas l’essai et la première escarmouche du grand combat du XVIIIe siècle contre l’église?

Tels sont les problèmes de philosophie morale qui se rattachent à la comédie de Tartufe et qui, indépendamment de la beauté littéraire