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écoliers ont appris la grammaire, la géométrie, l’arithmétique et étudié la dialectique dans les consciencieux et méthodiques traités composés pour ses chers écoliers.

Dans aucun genre, il n’a approché du premier rang, mais touchant à tout, il a tout remué, il s’est montré dans toutes les voies de la science ardent et sincère ; entraînant les uns, stimulant les autres par une contradiction que nul ne pouvait mépriser, il a joué un rôle utile, et son nom, pour rester célèbre, n’aurait pas eu besoin de la tragique aventure dont, pour le plus grand nombre, il rappelle surtout le souvenir.

Trop peu compétent sur les mérites du savant humaniste Lambin, je n’oserais sur lui résumer mon impression; mais il m’est impossible de ne pas songer à lui lorsque je lis dans Montaigne, qui l’a connu : « Cettuy-cy, que tu vois sortir après minuit d’une étude, penses-tu qu’il cherche parmi les livres, comme il se rendra plus homme de bien, plus content et plus sage? Nulles nouvelles : il y mourra ou il apprendra à la postérité la mesure des vers de Plante et la vraye orthographe d’un mot latin. »

Charpentier, caractère plus ferme et plus ardent, doit à l’injustice et à la haine une injurieuse célébrité. Ses écrits seuls, estimés des contemporains, n’auraient sans doute mérité que notre oubli.

Deux siècles plus tard, un poète honoré pour l’élévation de son talent et respecté pour la dignité de son caractère, était attristé par une calomnie infâme. Le sang de son frère, qu’il aurait pu sauver, disait-on, devait retomber sur sa tête. Les calomniateurs suivaient avec une joie cruelle le succès de leur odieuse invention. « Cette accusation est absurde, disait-on un jour devant Rivarol, M.-J. Chénier a tout fait pour sauver son frère ! —Peu importe, répondit en riant le spirituel cynique, c’est un mauvais chat que nous lui avons jeté dans les jambes. »

Charpentier est bien loin de valoir Chénier, mais la même injustice rapproche leurs souvenirs. Il n’a pas plus tué Ramus que Marie-Joseph n’a fait périr André, et à une époque qui par tant de traits rappelle la terreur révolutionnaire, j’ose le déclarer, après avoir examiné toutes les pièces du procès, ceux qui l’ont accusé d’abord ont voulu lui jeter un mauvais chat dans les jambes.


J. BERTRAND.