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s’il est vrai que Charpentier, par des sicaires payés ou excités par lui, ait procuré la mort de Ramus.


I.

Jacques Charpentier, dès sa sortie du collège, s’est trouvé l’adversaire de Ramus; nous connaissons l’occasion et le détail de leurs longues querelles et les causes de l’aversion qu’ils avaient notoirement l’un pour l’autre. Passionnés tous deux pour la dialectique, dont ils tenaient école, ils se sont accusés mutuellement de sophisme et d’erreur. Chacun d’eux a cru bien faire en rendant de mauvais offices à son adversaire et n’a pas manqué à ce devoir. Lorsqu’on racontant la mort de leur maître, trois disciples de Ramus ont accusé discrètement la vengeance et la haine, aucun d’eux n’a prononcé le nom de Charpentier, mais on a cru le lire entre les lignes.

Michelet, qui semble avoir assisté à tout, n’hésite pas plus que Crevier. Entre les massacreurs il décerne la palme à Charpentier; il raconte son infamie, mais n’en donne aucune preuve.

Estienne Pasquier, dans ses Recherches de la France, rapporte comme un bruit incertain que Charpentier fit assassiner Ramus « par gens de sac et de corde à ce par lui attitrez. » Lestoile le cite comme « homme estimé docte de son tems, mais mal famé et grand massacreur. »

Ainsi se forment les légendes. Celle-ci ne repose sur aucun témoignage ; aucun document antérieur à l’événement ne la rend vraisemblable. La vie de Charpentier est honorable; ses adversaires, en lui prodiguant des injures, n’ont raconté de lui aucune bassesse, n’ont révélé aucune perfidie; il a, s’il faut l’en croire, combattu Ramus dans ses écrits pour se défendre seulement, sans haine ni malveillance particulière, et quand il s’est élevé, trop vivement peut-être, contre ses opinions, ses discours et ses actes, la vérité seule était son guide. Les écoliers alors disputaient de toutes choses, et les maîtres, pour les mieux instruire, joignaient souvent l’exemple au précepte. Charpentier comprenait le ridicule de ces querelles de pédant : c’est malgré lui qu’on l’y entraîne, il le déclare à toute occasion, et dans un débat purement littéraire, il l’a vingt fois répété, la politique et la religion ne se mêlent jamais par sa faute.

La mémoire de Charpentier a été cependant accablée d’outrages; ses écrits, feuilletés avec un parti-pris dont nous donnerons plus d’un exemple, ont été allégués comme preuves d’ignorance, de mauvaise foi et de mauvais esprit. Tout ce que j’ai pu connaître de lui, et tout d’abord les citations choisies par ses accusateurs, laissent