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discours d’inauguration de l’empereur Guillaume, surtout avec la réapparition du chancelier sur la scène parlementaire. Ceux qui croyaient M. de Bismarck endormi dans quelque manoir poméranien, ou épuisé de forces, ou dégoûté du pouvoir, ceux-là se sont trompés. M. de Bismarck n’était ni engourdi dans la vie rurale, où il va souvent chercher le repos, ni dégoûté de la puissance, ni disposé à prendre sa retraite et à se faire ermite à Varzin. Il a fait sa rentrée avec une provision de forces nouvelles, avec une humeur plus batailleuse, plus dominatrice que jamais, et, depuis qu’il a reparu, il n’a laissé échapper aucune occasion de montrer que rien n’était changé en lui, qu’il restait toujours le tout-puissant chancelier, accoutumé à faire sentir sa lourde main à ses adversaires et même à ses amis. Dès l’abord, il a paru tenir à s’expliquer de façon à ce qu’il n’y eût aucune méprise ni sur ses intentions, ni sur sa politique, ni sur sa manière d’être. Il n’a pas caché que, s’il a eu il y a deux ans quelque velléité de se retirer, soit par suite d’une fatigue physique, soit parce qu’il ne trouvait pas l’appui qu’il désirait, il n’y songe plus, il est bien décidé à ne pas quitter la place, — quoiqu’il n’aime pas à y rester, à ce qu’il assure. Il l’a dit avec sa familière et hautaine originalité : « Maintenant, je crois utile de constater que je suis revenu complètement de l’idée de prendre ma retraite; l’idée ne me vient plus de me retirer avant que sa majesté trouve bon que je me retire. Ce qui a considérablement contribué à me faire prendre cette résolution, c’est que j’ai vu quelles sont les personnes qui tâchent d’obtenir que je me retire. Je les ai regardées nettement, longuement, et je me suis dit : Eh bien! non, il sera très utile à la patrie que je reste, et alors j’ai décidé que je resterai tant qu’il me restera un souffle de vie... » Voilà qui est clair! Peu de jours après, il a déclaré, sans façon, qu’à son âge, à soixante-six ans, après vingt ans de fonctions publiques, il ne changera plus, qu’il faut « se servir de lui tel qu’il est ou le mettre de côté. » Et puis, à ceux qui l’accusent de se servir de toutes les politiques, il a répondu plus lestement encore qu’il n’a qu’un but, l’indépendance du pays vis-à-vis de l’étranger, et son bien-être à l’intérieur, que « la question de savoir si ce but peut être atteint par la politique conservatrice, libérale ou dictatoriale est pour lui fort secondaire, qu’il se sert tantôt de l’une, tantôt de l’autre, selon qu’elle convient le mieux au but. » C’est l’homme tout entier avec son originalité puissante, mêlée de hardiesse, de familiarité, d’ironie et de hauteur, avec le sentiment de sa supériorité et de son ascendant personnel.

Le fait est que depuis quelques jours M. de Bismarck s’est montré prodigue de manifestations et de boutades qui, sans avoir rien d’absolument nouveau peut-être, dénotent une vive reprise de possession du pouvoir. Ce n’est pas l’habitude du chancelier de reparaître pour rien. Il ne semble pas heureusement, il est vrai, avoir été rappelé sur la