Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 44.djvu/238

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la constitution, qu’elle annulerait surtout la présidence de la république elle-même. Qu’on imagine un instant cette juxtaposition d’un chef de l’état nommé par quelques centaines de voix dans un congrès et d’un chef de ministère « désigné » par des millions de suffrages ! Ce serait, si l’on nous passe le mot, le plébiscite transposé passant du président de la république, à qui il a été appliqué en 1848, au président du conseil.

Qui ne voit dans ces procédés, dans ce langage une sorte de recrudescence croissante, presque coordonnée de l’idée du pouvoir personnel? Il n’y a sans doute ni à exagérer des incidens ni à dénaturer des intentions. Il n’est pas moins vrai que ce fait d’une prépotence toute personnelle existe, qu’il s’accentue, qu’il prend une place de plus en plus visible dans nos affaires, et rien ne le prouve mieux que ce qui se passe en ce moment même au sujet de la proposition de réforme du régime électoral. Quel est le meilleur système d’élections, est-ce le scrutin d’arrondissement, est-ce le scrutin de liste? Laissons de côté la question pour aujourd’hui. Ce qui est certain, c’est que, d’après la formation de la commission récemment nommée, le scrutin d’arrondissement garderait jusqu’ici l’avantage. Le scrutin de liste a cependant toujours bien des chances de l’emporter, — uniquement parce qu’il a pour lui M. Gambetta. Et qu’on le remarque bien, ce n’est pas parce que M. Gambetta aura donné de bonnes raisons ou parce qu’il aura une fois de plus déployé une entraînante éloquence que le scrutin de liste a la chance d’être voté ; c’est tout simplement, de l’aveu de tous, parce que le rejet de ce mode de scrutin serait un échec direct pour M. le président de la chambre et que beaucoup de députés craignent de s’associer à ce qui pourrait passer pour un acte d’hostilité ou d’insoumission. De telle sorte que cette obsession de pouvoir personnel est partout. Eh bien! il faut sortir de là, et ce que M. Gambetta a de mieux à faire, c’est de se dégager lui-même de ce rôle démesuré, de rentrer dans la vérité politique et constitutionnelle, de ramener une importance qui sera toujours réelle à des proportions plus justes. S’il aspire au pouvoir, comme il en a le droit, qu’a-t-il besoin d’une désignation exceptionnelle qui ne peut être qu’un danger ou une vaine ostentation ? Il n’a qu’à imiter M. Gladstone: il n’a qu’à se faire élire, à avoir une majorité, et dans ces conditions toutes régulières, avec ses facultés que personne ne conteste, il peut certes servir utilement son pays. Il ne trouvera ni préventions, ni hostilité systématique. S’il se laisse aller à d’autres tentations, il rencontrera infailliblement, même parmi les républicains, la résistance de tous les esprits libéraux qui ne sont pas sans doute le nombre, qu’on traite quelquefois pour ce motif avec dédain, qui finissent souvent cependant par avoir le dernier mot, parce qu’ils sont la raison éclairée et prévoyante.

Les affaires d’Allemagne ont repris depuis quelques semaines plus d’animation, plus de précision avec la rentrée des chambres, avec les