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Il y a évidemment deux choses distinctes dans cette récente interpellation, qui, à tout prendre, n’a été qu’une occasion ou un prétexte. Il y a la question elle-même, cette question de la politique de la France en Orient qui a été déjà l’objet d’explications successives dans les deux assemblées. Sur cette politique, sur ses velléités et ses hésitations, et ses retours et s6s contradictions apparente?, on croyait que tout avait été dit. On savait bien qu’il y avait en un instant où notre diplomatie, avec plus de générosité que de réflexion, s’était un peu engagée pour les Grecs, où elle était même allée assez loin en se flattant d’avoir conquis à la conférence de Berlin un « titre irréfragable » en faveur du royaume hellénique. On savait aussi qu’il y avait eu un projet de mission militaire à Athènes et que ce projet, conçu sans doute à la sollicitation de la Grèce, s’était bientôt évanoui devant les susceptibilités de l’opinion française. Tous ces faits, atténués d’ailleurs par la politique et les déclarations plus récentes du nouveau ministre des affaires étrangères, on les connaissait avec plus ou moins de précision, on croyait les connaître, lorsque tout à coup s’est produit un incident imprévu; le gouvernement anglais a publié dans son Blue-Book des dépêches de son représentant à Athènes, M. Edwin Corbett, et il s’est trouvé que le « livre bleu » anglais en disait plus que le « livre jaune » français. Deux dépêches de M. Corbett, en reproduisant une conversation avec un ministre du roi George, M. Tricoupis, laissaient croire qu’il y avait eu à Paris des promesses plus précises qu’on ne l’avait pensé et au sujet de la mission militaire de M. le général Thomassin, et au sujet d’un fait moins connu, même complètement inconnu, la cession éventuelle de trente mille fusils de nos arsenaux contre de l’argent grec. La révélation venant de Londres a excité un mouvement de surprise et d’émotion. Jusque-là cependant il n’y avait rien de bien sérieux, rien de compromis, puisque la mission militaire n’était pas partie et que les fusils n’avaient pas été livrés. On en était là lorsque tout s’est aggravé par un incident nouveau plus imprévu encore que le premier. Il n’y a que peu de jours, on apprenait que des armes et des munitions sorties de nos dépôts, achetées par le commerce, étaient expédiées à la destination de la Grèce par les ports français, avec le visa des autorités françaises. La question déjà réveillée par les révélations des documens anglais s’est trouvée plus ravivée encore, plus compliquée et plus embrouillée par ces opérations de commerce, qui ressemblaient à un subterfuge concerté ou toléré pour déguiser une cession d’armes qu’on avait cru devoir refuser officiellement. Il n’y avait rien de semblable, — on aurait pu cependant le croire à voir l’attitude embarrassée et un peu effarée du gouvernement dans cet imbroglio où il s’est trouvé jeté sans avoir l’air de s’en douter.

Parlons franchement. Ces derniers incidens par eux-mêmes n’étaient pas bien graves; ce qui a tout gâté, c’est que les ministres ont manqué