Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 44.djvu/232

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




28 février 1881.

On aurait beau s’en défendre et vouloir fermer les yeux sur la réalité des choses, la vie publique de la France est pour le moment dominée par un fait à la fois avéré et difficile à préciser ou à définir : c’est l’importance qu’a prise par degrés, que tend de plus en plus à prendre M. le président de la chambre des députés. Cette importance ou cette prépotence, on la commente, on l’explique, on l’exalte ou on la décrie, on l’exagère ou on la diminue à volonté. Elle n’en est pas moins un fait qui, en frappant l’opinion, la laisse indécise, qui se dérobe et reparaît tour à tour, qui reste jusqu’à un certain point une énigme. Non pas que l’influence exercée, même dans une mesure assez large, par M. le président de la Chambre des députés ait rien d’imprévu et d’extraordinaire. M. Gambetta, par le rôle qu’il a joué depuis dix ans, par ses interventions décisives à des momens difficiles comme par ses dons d’orateur, est certainement un des hommes les mieux faits pour l’action politique. Il a l’habileté du tacticien et l’art de capter les grandes réunions par une éloquence appropriée aux circonstances. Il a au besoin le goût de plaire, ne fût-ce que pour mieux déguiser ou mieux accompagner le goût de s’imposer; il a particulièrement un avantage que personne ne contesté, celui d’une supériorité marquée sur tout ce qui l’entoure et le suit. C’est assez pour lui assurer une place éminente et légitime dans les conditions et les limités d’un régime constitutionnel et parlementaire; mais il est bien clair que ce n’est pas de cette influence naturelle et simple qu’il s’agit. L’énigme, c’est cette importance d’une autre nature qui sort des proportions ordinaires, qui est censée peser sur le gouvernement comme sur le parlement, qu’on croit voir partout, qui ces jours derniers encore a été pour ainsi dire mise sur la sellette à la chambre des députés et au sénat à propos des affaires de Grèce; c’est cette prépotence enfin qui, interpellée jusque sur le fauteuil présidentiel, s’est crue obligée ou intéressée à descendre dans l’arène pour s’expliquer elle-même, pour éclaircir un mystère, — qui cette fois encore n’a pas été complètement éclairci.