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REVUE MUSICALE

Il n’y a pas à dire, les salles de concert ne sont plus ce que nous les avons vues autrefois ; seul le Conservatoire maintient encore sa physionomie traditionnelle et consulaire; partout ailleurs, les nouvelles classes ont pris le dessus ; chez Pasdeloup, chez Colonne, elles règnent et gouvernent, et le plus curieux, c’est que le grand art ne s’en porte que mieux. Les connaisseurs de profession, — gens du passé, exclusifs, raisonneurs, beaux esprits, ont quitté la place; des dilettantes, il n’y en a plus, la race s’en est perdue ; il y a tout le monde, ce fameux tout le monde qui, vous le savez, a plus d’esprit que Voltaire; ce qui fait que les mêmes choses qui jadis furent sifflées sont aujourd’hui portées aux nues et que, par un juste retour, toute sorte d’amusettes et brimborions, — airs variés et divertissemens, dont on raffolait, — sont conspuées. Public nerveux, houleux, impatient, intransigeant, toujours bataillant pour ou contre et qui vient là, sans autre critérium que ses purs instincts, casser les arrêts des esthéticiens du passé et légiférer sur le présent ! Car, il ne faut pas nous y tromper, les élémens dont ce public se compose sont tout ce qu’il y a de moins éduqué; aucune culture spéciale n’a passé par là, vous avez affaire à des juges sans mandat: employés et commerçans, étudians et clercs de notaire profitant de leurs vacances du dimanche. Ils se sont dit en déjeunant : Que ferons-nous de notre après-midi? et selon que tel ou tel programme les allèche davantage, ils vont chez Pasdeloup ou chez Colonne, et voilà, ces industriels, ces apprentis et ces bureaucrates, lancés tout de suite in medias res et tranchant de main de maître dans la question d’art. Si le règne de la démocratie a ses inconvéniens, on m’accordera que ce n’est point de ce côté-là qu’il faut s’en plaindre. Avec un pareil public, aucun artiste de valeur ne risquera d’être longtemps méconnu. Point caractéristique à noter, ses excès d’admiration n’ont rien dont on doive s’inquiéter ; si passionné, si tapageur qu’il soit, il ne se laisse guère emporter, et, qu’on me passe l’expression — ne s’emballe jamais: même chez les plus chers objets de ses prédilections, il sait faire la