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greffon, ne pourraient-elles aussi modifier les racines du sujet, et les rendre plus comestibles, sinon pour nous qui ne les mangeons pas, au moins pour le phylloxéra qui en vit; et celui-ci, appréciant une différence qui nous échappe, ne pourrait-il croître tout d’un coup et multiplier, en dépit d’assurances dogmatiques qui me paraissent aller fort au-delà de ce que la science autorise encore?

La physiologie de la greffe est, en effet, une des questions les moins connues de la botanique physiologique. Elle a fort peu occupé les botanistes militans, j’entends ceux qui emploient le microscope, le rasoir, les réactifs chimiques, toutes les ressources de la science. L’outil qui prépare le sujet et le greffon tranche et tue toutes les cellules qu’il rencontre, et ce sont deux plaies qu’on amène au contact et qui se soudent. En quoi consiste la soudure, par quel mécanisme s’accomplit- elle, et quel rôle joue la sève dans son accomplissement? — Nul ne le sait et personne ne saurait dire l’influence précise qu’elle peut avoir sur, la physiologie de la plante. On ignore les conditions qui doivent être remplies pour que l’opération réussisse, le très petit nombre de faits connus jusqu’à ce jour présentant des anomalies peu compatibles avec la formule d’une loi. La recherche de faits nouveaux offre aujourd’hui une importance exceptionnelle : une plante, en effet, qui ne serait pas attaquée par le phylloxéra, et qui accepterait comme greffons les sarmens de nos cépages, serait un commencement de solution. On ne connaît pas encore une telle plante; mais peut-être en pourra-t-on rencontrer une si on persévère dans ces essais, en marchant avec prudence et réflexion, mais sans un assujettissement aveugle à des règles prématurées. L’importance du but à atteindre vaut bien d’ailleurs qu’on ne se laisse point troubler par des railleries peu charitables ou des critiques peu éclairées.

Il ne faut donc pas se hâter de dire que les cépages qui nourrissent peu d’insectes valent mieux d’ores et déjà que ceux qui en sont chargés, parce que ce sont précisément les premiers, à l’exclusion très justifiée des seconds, qui sont destinés à supporter le greffage. Et cette opération présente, pour les cépages qui la subissent, un nouveau danger qui mérite examen. Les porte-greffes les plus estimés sont, à peu d’exceptions près, tout à fait stériles ou du moins très peu fertiles. Or on sait que ce qui fatigue et épuise le plus une plante, c’est la maturation du fruit et de la graine. Que deviendront les porte-greffes en présence du phylloxéra, même avec très peu de phylloxéra, lorsque, au lieu de quelques baies très rares, leurs racines nourriront, — si elles les nourrissent, — 15 ou 20 kilogrammes d’aramon? Ne nous hâtons pas de conclure, et attendons que l’expérience ait résolu cette difficulté.

Il n’existe encore que peu de vignes américaines greffées avec un cépage français, bien peu surtout qui soient d’âge à donner une récolte.