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« Au mas de la Sorres, près de Montpellier, tous les plants, sauf quatre ou cinq variétés, meurent. Les taylors que nous voyons si résistans en tant d’endroits, présentent le point d’attaque le plus caractérisé; or je crois fermement que, si ces taylors se trouvaient dans un pays où le phylloxéra fût inconnu, leur non-adaptation se traduirait par un état peu développé, tandis qu’en pays contaminé elle se traduit par un point d’attaque. Même observation pour une plantation d’Herbemonts, chez M. ***. Là encore, une dépression affectant l’apparence et la forme d’une tache phylloxérique, sans qu’on puisse trouver d’explication rationnelle à ce déclin. Ces morts par causes indéterminées déroutent l’opinion publique; lorsque le praticien qui a assisté à la mort ou au déclin de ses vignes se rappelle la manière dont procédait le phylloxéra et qu’il se trouve en présence de cas comme ceux que je viens de signaler, il lui est impossible de ne pas reconnaître une parfaite analogie entre ce qu’il a sous les yeux et ce dont il se souvient trop bien. »

Ainsi une vigne américaine qui succombe aux atteintes du phylloxéra meurt exactement comme ferait une vigne française. Que sa mort soit plus prompte lorsqu’elle est préalablement affaiblie par quelque autre cause, cela va de soi, et rien ne justifierait l’emploi d’une locution nouvelle pour définir un fait aussi simple, si l’on n’avait en vue une diversion savante : on s’efforce de faire de la résistance, non une propriété essentiellement relative, mais une vertu spécifique, absolue, qui légitime le mot résistant employé sans épithète.

Cependant, voici une vigne américaine qui fléchit; en voici une qui meurt; cette autre est morte, on l’arrache. Et les gens simples de dire: «Mais ce cépage n’est donc pas résistant ? » C’est à ce moment que l’adaptation intervient ; on définit avec plus ou moins de précision la constitution physique et chimique du terrain où on voit mourir la victime; on proclame à nouveau que le moribond est résistant, mais qu’il est mal adapté. L’adaptation reste responsable de l’accident et la résistance est sauve. Citons, à ce propos, quelques lignes d’un botaniste très distingué et nullement ennemi de la vigne américaine, pas plus que je ne le suis moi-même : « Supposons, dit M. Millardet, que nous sommes arrivés avec la commission sur le terrain où, sur quelques centaines de taylors plantés depuis trois à cinq ans, un point faible, une tache s’est déclarée... On arrache trois ou quatre ceps dont les racines, dévorées de phylloxéra, sont dans un état assez médiocre... Deux ou trois souches sont parvenues au dernier degré d’étisie. Le propriétaire observe d’un œil anxieux le visage du président de la commission, craignant d’y lire l’arrêt de mort. Celui-ci n’est pas sur un lit de roses... Que faire?.. Sa physionomie s’illumine : il a trouvé!.. Il déclare qu’il est nécessaire, avant de se prononcer, de faire l’analyse du sol... On emporte un sac de terre! — Les propriétaires sont habituellement si fort ahuris de cette réponse inattendue, qu’ils oublient de jeter au nez de l’homme