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une observation qui est fondamentale : l’idée même de résistance implique deux facteurs. Ici, nous avons la vigne qui résiste et l’insecte qui l’attaque. Un insecte ne saurait attaquer une plante que s’il trouve dans la plante quelque substance appropriée à ses besoins, et en lui-même les moyens de conquérir cette substance. Le plus souvent, nous connaissons si peu la plante et l’insecte que nous ignorons également et quelle est chez la plante la substance qui tente l’insecte, et quel est chez l’insecte l’agent qui attaque la plante. Pour la vigne, nous ne connaissons ni la nature des lésions produites par le parasite, ni les accidens physiques ou chimiques qu’elles amènent. Nous ignorons si c’est un simple phénomène de végétation consécutif à une blessure, à une succion purement mécanique, ou, s’il y a en plus l’action d’un venin, d’un poison versé par l’insecte dans la plaie. Dans un mémoire publié par l’Académie des sciences, M. Max. Cornu montre fort bien que cette hypothèse d’un venin n’est nullement nécessaire, et ce qui était inutile alors l’est encore aujourd’hui.

Nous ne savons pas mieux expliquer pourquoi le phylloxéra reste très rare sur certains cépages américains, pourquoi il se multiplie sur d’autres aussi abondamment que sur les racines de nos propres vignes. Rien ne prouve que la dureté, la densité des tissus, le peu d’épaisseur ou la consistance des rayons médullaires soient, dans l’immunité relative des premiers, des élémens essentiels. Nous voyons des plantes entre lesquelles on chercherait vainement des différences de cet ordre, attaquées, les unes, par un insecte; les autres, par un autre insecte très voisin du premier ; telle chenille vit de la feuille du mûrier, telle autre de la feuille du chêne, sans qu’il soit possible à aucune des deux de passer d’une feuille à l’autre; tel phylloxéra vit de cette même feuille du chêne, tel autre de la racine ou même de la feuille de la vigne. N’est-ce pas avant tout une question d’affinité entre la plante et l’insecte, affinité que nous ne saurions ni expliquer ni définir? Il est aussi malaisé de comprendre les actions chimiques qui se peuvent produire: tous les chimistes savent que des substances molles, légères, résistent à tel réactif qui attaque, dissout, décompose les corps les plus durs, les plus lourds, les métaux, les amalgames, les alliages; et s’il y a ici un poison, ne le connaissant pas, comment en nommer le contre-poison?

Ce que nous pouvons dire avec certitude, c’est que toute théorie qui veut rendre compte de la résistance de la vigne au phylloxéra en n’étudiant que la vigne et faisant abstraction de l’insecte, manque de base et est à rejeter sans autre examen. Ainsi, les théoriciens me semblent se tromper lorsqu’ils établissent entre la dureté, la densité des tissus et la résistance des relations de cause à effet, sans remarquer que la coexistence de deux phénomènes n’est pas la preuve en soi que l’un soit une conséquence de l’autre; sans remarquer surtout que, si les qualités des organes sur lesquelles ils s’appuient avaient une influence