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Ces observations mécontentèrent les assistans. Ils avaient précédemment envoyé une adresse à Coblentz, en faveur de M. de Saillans et contre le général de Connway. L’absence de réponse les disposait peu à la patience. Ils objectèrent que les délais mis aux opérations devenaient de plus en plus dangereux; que l’oppression des catholiques était à son comble ; que déjà, pour rendre leurs efforts inutiles, on avait envoyé dans le Gévaudan deux bataillons marseillais; que d’autres troupes allaient arriver et qu’on avait tout à craindre des protestans; que, d’autre part, vingt-cinq mille hommes étaient prêts, dont il était difficile de contenir l’impatience et qu’il fallait agir sans retard; que, si M. de Saillans persistait à attendre des ordres qui n’arrivaient pas, il y avait lieu de les provoquer. En conséquence, il fut décidé qu’un des membres de la fédération, Pierre Séran, de Montpellier, partirait pour Chambéry, supplierait M. de Connway de venir, dans les huit jours, prendre possession de son commandement, et que si, passé ce délai, il n’arrivait pas, on agirait sans lui. Pierre Séran reçut sur-le-champ la somme nécessaire à son voyage et dut partir dans la nuit.

Cette délibération close, le chevalier de Melon prit la parole. Il prononça un éloquent discours qui acheva d’enflammer les cœurs et dont le noble accent obligeait un peu plus tard le rédacteur du mémoire officiel sur la conspiration de Saillans à reconnaître qu’on y trouvait « une sorte d’élévation d’âme, plus conforme aux sentimens d’un défenseur de la liberté et de la souveraineté du peuple, qu’aux principes d’un vil agent du despotisme et de l’anarchie. »

Après de telles manifestations, la prise d’armes, quelque imprudente qu’elle pût être en ce moment, devenait inévitable. Pour l’empêcher, il eût fallu plus d’esprit de suite, plus de persévérance dans les idées, plus de sagesse dans les vues que n’en possédait le comte de Saillans. Il n’avait jamais été maître du courant, il était incapable de le contenir; il s’y abandonna.


ERNEST DAUDET.