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nationaux debout et en armes ; au milieu d’eux, plusieurs centaines de paysans, dont le nombre grossissait de minute en minute, brandissant des faux, des tridens et des haches. Le lieutenant-colonel Jossinet, qui n’avait cessé de soutenir M. de Borel, se prononça plus énergiquement encore ; le capitaine de Lourmel se décida alors à envoyer sa troupe à Langogne, c’est-à-dire à l’autre extrémité du département, à la condition que lui-même serait autorisé à rester à Mende avec vingt hommes pour y attendre les ordres du général d’Albignac. Un peu plus tard, il dut reconnaître qu’il avait agi prudemment en se résignant à céder à la force, car avant neuf heures le nombre des paysans armés entrés dans Mende s’élevait à plus de six mille hommes. Ceux qui avaient provoqué ce soulèvement durent même envoyer de toutes parts de nouveaux ordres, afin de faire rétrograder d’autres bandes qui arrivaient à leur appel.

A la même heure, les compagnies du régiment de Lyonnais s’éloignaient par la route de Langogne. Elles n’arrivèrent au terme de leur voyage qu’après avoir couru les plus grands périls et subi les plus violentes menaces de la part des populations accourues sur leur passage. Dès ce moment, la ville de Mende appartenait au parti royaliste, dont le triomphe fut signalé par le pillage de plusieurs maisons appartenant à des patriotes qui s’étaient hâtés de fuir au moment où s’éloignait le détachement de ligne.

En peu de jours, la nouvelle de ces événemens se répandit au dehors. Les membres du conseil-général, en attendant qu’il leur fût possible de se réunir et de délibérer, envoyaient lettres sur lettres à l’assemblée nationale pour lui dénoncer les auteurs de cette échauffourée. Les directoires des départemens limitrophes de la Lozère s’alarmaient, se demandant si ce n’était point Là le signal d’une révolte générale, que l’excitation des royalistes du Midi faisait craindre depuis longtemps. Le général d’Albignac, commandant la subdivision de Nîmes, offrait de se transporter sur les lieux pour y rétablir l’ordre ; mais son offre était timide, soit qu’il n’osât agir sans avoir reçu des instructions de Paris, soit, ce qui est plus vraisemblable, qu’il y eût insuffisance de troupes dans l’étendue de son commandement et qu’il lui fût difficile d’en envoyer dans la Lozère sans compromettre la sécurité d’autres territoires soumis à sa surveillance. L’obligation de couvrir les frontières menacées avait dégarni l’intérieur du pays. Dans le Gard, comme ailleurs, la force publique était impuissante ou infidèle. L’impulsion donnée aux sociétés populaires avait produit les plus fâcheux résultats. Les excès ne pouvaient pas plus être prévenus que réprimés, ni les autorités empêcher l’incendie des châteaux et la dévastation des propriétés, vengeances ou représailles des patriotes contre les manifestations