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L’année suivante, au mois de février, on les appela de nouveau. Cette fois, le caractère de la manifestation fut moins platonique. Les organisateurs du camp de Jalès ayant formé entre eux une association puissante, provoqué des adhésions à leur entreprise dans toutes les grandes villes du Midi, rêvaient une insurrection générale, une marche rapide sur Paris, la dispersion de l’assemblée nationale et le rétablissement de l’ancien régime. Mais ils avaient trop présumé de leurs forces. La rigueur de l’hiver, la défectuosité de leurs plans, ne leur permirent pas de réunir plus de six mille hommes, que la parole énergique et sensée d’un chef de légion dispersa avant l’arrivée des troupes envoyées contre eux par les directoires de l’Ardèche et du Gard.

La conjuration étouffée dans son berceau, ceux qui l’avaient préparée furent décrétés d’accusation. Les uns demeurèrent cachés dans les montagnes de leur pays, les autres parvinrent à gagner l’étranger. Un seul, M. de Malbosc, ancien conseiller au présidial de Nîmes, périt massacré dans la citadelle du Pont-Saint-Esprit, où il était détenu. Ceux qui lui survécurent, vaincus, mais non découragés, s’étaient, en se séparant, juré de travailler sans repos ni trêve au triomphe de la cause sacrée pour laquelle ils avaient pris les armes et de recommencer la guerre dès qu’ils trouveraient une occasion propice pour la faire avec plus de fruit. La conspiration de Saillans fut l’accomplissement de cette promesse.


I.

C’est un étrange et saisissant tableau que celui de l’émigration française à Coblentz. En 1791, sur le conseil de M. de Calonne et après un morne séjour de dix-huit mois chez son beau-père à la cour de Turin, le comte d’Artois était venu s’installer dans cette petite ville, résidence de l’électeur de Trêves. M. de Calonne lui-même n’avait pas tardé à le suivre, traînant après soi tout un flot de gentilshommes émigrés. Puis, le 27 août de la même année, au lendemain de la convention de Pilnitz, Monsieur, comte de Provence, arrivait à son tour, afin de prendre la direction suprême de la contre-révolution, dont les imprudentes ardeurs et les sottes intrigues allaient précipiter la perte de la famille royale, captive dans Paris.

Dès ce moment, Coblentz devenait le grand rendez-vous de l’émigration, le foyer de tous les complots ourdis contre la république, le centre des armemens à l’aide desquels on espérait la vaincre. A Paris même, sous les yeux des clubs et de l’assemblée nationale, on embauchait des hommes pour Coblentz. A tout officier ou soldat qui voulait s’y rendre le rédacteur de la Gazette de Paris