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sorte de triomphe l’argumentation du cardinal de La Fare. Voyez, nous disent-ils, c’est vous qui lui avez fourni des armes ! — A cela nous répondons : Tant mieux! C’est quelque chose devoir, à la face du pays, un cardinal défendre le principe de la liberté de tous les cultes, et la pourpre romaine se chercher un abri sous les dogmes politiques de Franklin et de Jefferson. »

Voilà cinquante ans que ces lignes ont été publiées ; elles sont plus vraies que le premier jour. Le gallicanisme, comme croyance générale, a disparu. La liberté plus complète des cultes a modifié essentiellement les anciens rapports de l’église et de l’état. En échange de la protection temporelle que les princes lui accordaient, l’église les faisait en quelque sorte participer à son pouvoir. L’association des deux puissances, comme disait Bossuet, semblait demander qu’elles exerçassent les fonctions l’une de l’autre.

Où est maintenant le roi évêque du dehors et défenseur des canons? La logique l’a emporté par la force des choses : l’orthodoxie religieuse devait fatalement se confondre de plus en plus avec l’ultramontanisme. C’était là sa pente et sa nécessité. Lamennais l’avait bien compris. Cette lutte terrible entre la révolution et le catholicisme dont il avait éloquemment prédit les phases diverses ne peut plus être portée, quoiqu’on le veuille, sur le terrain de la déclaration de 1682. L’enjeu de cette guerre qui remplira la fin du siècle est bien autrement important. La solution définitive, s’il nous était permis de dire notre pensée, ne peut être qu’une solution libérale. Hors d’elle nous ne voyons que ténèbres et confusion. Un des grands esprits de ce temps a essayé vainement, par un corps de doctrines, de réconcilier la société civile et la société ecclésiastique. Sa doctrine religieuse, diamétralement contraire à celle de Lamennais, ne put entamer le public indifférent. Cette médiation fut repoussée. Ces péripéties emplirent plus d’un cœur droit de troubles profonds et de déchiremens douloureux. La revendication passionnée des principes gallicans par Montlosier n’a été qu’un des prolégomènes de ces dissensions intestines où s’usèrent tant de forces morales. Nous avons essayé d’écrire un chapitre de cette histoire avec impartialité. Sans vouloir pressentir quels seront les incidens nouveaux de ce conflit si redoutable pour le caractère de ce pays, nous pouvons affirmer que la liberté seule pourra signer le traité de paix. La démocratie française est assez forte et sera assez éclairée pour le ratifier.


A. BARDOUX.