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La liberté pour tous, même pour les jésuites, tel était leur cri. Il n’était besoin ni de proscription, ni d’arrêt de judicature pour vaincre l’influence de la compagnie de Jésus: il fallait des livres et la neutralité du pouvoir. L’église, n’ayant plus l’espoir d’imposer ses croyances par le glaive, se réduirait naturellement à la lutte intellectuelle, et les inimitiés qu’elle excitait seraient apaisées ou seraient convaincues d’injustice.

D’après l’opinion de ces vrais libéraux, durant ces années de transition où rien du passé ne convenait et où l’on ne savait rien de ce que donnerait l’avenir, les jésuites ne pouvaient manquer de reparaître. L’introduction de leurs exercices dans la vieille église de France était encore plus une nécessité du malaise des croyances religieuses que le résultat de leurs pratiques et de leurs menées. Il fallait contempler ces variations sans s’en irriter ni les craindre.

Lorsque parut le Mémoire à consulter, l’école philosophique, comme on l’appelait, lit plus d’une critique à Montlosier, tout en lui sachant gré de son courage. En tenant pour vrais tous les faits révélés par lui, le Globe concluait seulement que le pouvoir politique officiel n’était plus soumis aux mêmes influences.

Si la direction des affaires gouvernementales avait passé aux mains du clergé, elle avait été fort réduite par la prépondérance toujours croissante que les classes moyennes avaient acquise dans la gestion des affaires. Parce que les jésuites dominaient la société sous Louis XIV, c’était une erreur de croire que cela fût possible même sous Charles X; le monde avait changé. Que fallait-il donc faire pour se débarrasser du joug d’un parti impopulaire? Le signaler, disait M. Dubois. Quant aux arrêts des parlemens, qu’ils dorment dans les greffes des tribunaux avec les lois de colère ! Il y aurait mauvaise grâce à répondre aux argumens par la censure et aux ergoteurs par la prison. C’est en effet un péril plus grand qu’on ne pense que d’emprunter à une civilisation que chaque jour on proclamait défectueuse et tyrannique des garanties qui coûtent tôt ou tard plus cher que ce qu’on veut sauver. L’inconséquence de Montlosier était de se récrier contre l’église, qui, disait-il, invoquait le droit séculier et se prenait au corps au lieu de s’adresser à l’esprit; et quand, au contraire, il s’agissait de la noblesse, de devenir à son tour plus intolérant que les prêtres. Il ne lui suffisait pas que la France reconnût le mérite des hommes distingués et obéit librement à l’ascendant de la raison et du talent; il fallait au gentilhomme féodal une hiérarchie matérielle, un culte des rangs, une aristocratie d’état.

Aussi la bataille que livra Montlosier ne fut-elle pas vraiment populaire dans le sens que nous donnons aujourd’hui à ce mot.